Pop, esthétiquement barrée et énigmatique, la nouvelle série Marvel inspirée de l’univers des X-Men renouvelle avec brio le genre du récit super-héroïque en lui donnant la forme d’une aventure psychanalytique. A la croisée de ses influences et de l’originalité de son propos, pourquoi « Legion », dont la diffusion vient de débuter en France sur OCS, parviendra-t-elle à vous embrigader ?
L’épuisement guettait le genre depuis quelques années. A coup d’annonces de sorties de prequels, sequels et autres reboots, DC et Marvel ont bien failli sacrifier notre intérêt pour les super-héros sur l’autel d’une guerre marketing qui s’est révélée a posteriori artistiquement des plus vaines. Mais après Logan, étonnant meilleur film de super-héros sorti au cinéma depuis X-Men : Le commencement (2011), voilà qu’avec Legion c’est une nouvelle fois de l’univers étendu des X-Men que la bonne surprise est venue.
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Le créateur de Fargo aux commandes
A l’origine de Legion, il y a la passion de son créateur Noah Hawley pour les comics super-héroïques. Après le succès de sa série Fargo, ce dernier s’est lancé dans l’adaptation en série de Legion, un comic conçu par Chris Claremont (auteur de la série de comics Wolverine) et Bill Sienkiewiz qui, pour ne rien spoiler, se place dans la cosmologie des X-Men, faite de mutants aux pouvoirs surnaturels qui, rejetés par la société, s’allient et forment une microcosme autarcique. Inadapté à la vie en société, David Haller, personnage principal de la série, l’est complètement. Diagnostiqué schizophrène dès son plus jeune âge, il est interné dans un étrange asile psychiatrique dont viendra le tirer un groupe de mutants tout autant inadaptés que lui.
Produite par Bryan Singer, Lauren Shuler Donner (productrice sur tous les films issus de l’univers X-Men, dont Logan), Simon Kinberg (également producteur et réalisateur de certains X-Men) et le mythique pilier de Marvel Stan Lee en personne, Legion dispose de tous les patronages nécessaires. A l’image, Noah Hawley, non-seulement créateur, scénariste et producteur du show mais aussi réalisateur du premier épisode, a choisi de retravailler avec Dana Gonzales, chef-opérateur attitré de Fargo. Quant au casting, c’est Dan Stevens, récemment vu au cinéma dans le rôle du prince maudit de La Belle et la Belle de Bill Condon (2017), qui interprète David. Sa principale partenaire de jeu est incarnée par Rachel Keller qui, tout comme Jean Smart, la version féminine du professeur Xavier de Legion, tenait déjà un rôle récurant dans Fargo. Diffusés sur FX aux Etats-Unis depuis février, les huit épisodes de la première saison sont diffusés à partir de cette semaine sur OCS en France. Une saison 2 a d’ores et déjà été annoncée pour début 2018.
Une esthétique au croisement improbable de David Lynch et Wes Anderson
Avec son survêtement bigarré tout juste repassé et son air légèrement autiste, David semble tout droit sorti de La Famille Tenenbaum (2001). Cet attrait pour les couleurs et une certaine artificialité se retrouve dans les décors faits d’aplats et d’un mobilier au design futuriste. La photographie saturée, les jeux chromatiques et géométriques permanents et cette manière d’envisager les personnages comme de grands enfants hipsters donnent à la série cet aspect mignon et acidulé typique du cinéma du réalisateur de La Vie aquatique (2004). Mais également de celui de Michel Gondry dont l‘Eternel Sunshine and the Spotless Mind (2004) est une influence revendiquée par son auteur. A l’image de l’utilisation de She’s a Rainbow qui précède une séquence dansée, Legion est une série pop.
Mais la grande force de la direction artistique de la série est d’avoir conjugué cette esthétique pop avec l’inquiétante étrangeté propre à David Lynch. Les monstres mentaux informes qui tourmentent l’esprit de David sont de véritables hommages à ceux qui peuplent le cinéma de l’auteur de The Grandmother (1969). On retrouve également cette manière d’envisager la forme comme la représentation de l’espace mental du (super)héros qui ne parvient plus à faire la différence entre des rêves angoissants et une réalité rendue intranquille par cette porosité. Du grand méchant quasi-muet au physique grotesque à l’omniprésence d’écrans à l’image brouillée en passant par un montage lapidaire, un récit décousu et des vues subjectives déformées, Legion est pétrie d’influences lynchiennes.
Les super-héros aussi font leur psychanalyse
Mais le grand grand intérêt de Legion réside surtout dans son détournement du récit super-héroïque en aventure psychanalytique. Avant de sauver le monde, David doit se défaire de ses traumas d’enfance. Dans le complexe où vivent ces êtres aux étranges pouvoirs, il y a même une salle spécifique consacrée aux séances de souvenirs auxquelles chaque nouvel arrivant doit se livrer. Il s’agit d’un véritable travail de plongée dans l’enfance rendu possible par un mutant dont le super-pouvoir est d’avoir la capacité de naviguer dans la mémoire des autres en compagnie du sujet analysé, mais également d’autres passagers. Cette cure analytique qui ne dit pas son nom devient vite le véritable sujet de la série. Legion dédouble d’ailleurs de manière extrêmement fine les différentes figures de cette salutaire analyse ; le psychanalyste que David voyait avant d’être interné trouve son prolongement dans le mutant capable de voyager dans la mémoire, sa mère biologique se transpose dans la figure maternelle de la matriarche du groupe de mutants renégats et le troll monstrueux qui hante son esprit trouve sa figuration dans le mutant traître qui les pourchasse.
Le passé de David se pose en énigme et une énigme fascinante puisqu’au fur et à mesure que le récit se déploie, David parvient, en compagnie des autres mutants, à s’enfoncer plus en amont dans son inconscient dont les résistances à l’analyse tombent petit-à-petit. La lutte entre un conscient qui tente d’accéder aux traumatismes originels et un inconscient retors qui fera tout ce qui est en son pouvoir pour les dissimuler trouve dans Legion une représentation concrète, émouvante et captivante.
Une passionnante relecture du genre
Mais Legion est un plaisir qui se mérite car il faudra pour l’apprécier passer outre deux premiers épisodes qui cumulent à la fois un ton qui se cherche encore et une réalisation nettement en-dessous des épisodes suivants. La série prend véritablement son envol à partir d’un troisième épisode étonnamment bon. Ce saut qualitatif brutal se confirme par la suite. Malgré un certain sentiment d’engorgement de références (en plus de Lynch, Gondry et Anderson, Malick et les Wachowski pointent le bout de leur nez) dans lequel la série menace de se noyer, le resserrement du récit sur ses enjeux psychanalytiques finit par captiver.
Ne tentant de plaire à tout prix ni aux teens, ni aux geeks, ni aux cinéphiles, Legion trace sa propre voie, solaire et onirique. Faite de jeux de temporalités et d’espace vertigineux, elle parvient, à l’instar d’Hannibal, à mettre en place une forme des plus originales mise au service d’un récit qui enchâsse habilement rêves et réalité. Legion est un pas de coté. Une série qui, tout en désamorçant les attentes du genre, en propose une nouvelle et rafraichissante lecture.
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