Ce genre fondateur de la télévision disparaît doucement à cause d’audiences en baisse. Une mauvaise nouvelle pour les marchands de laque.
C’est un peu l’extinction des dinosaures de la télévision qu’est en train de vivre l’Amérique. Il n’y a plus que quatre soapoperas diffusés sur les principales chaînes en ce printemps 2011, depuis que ABC a annoncé il y a quelques semaines l’arrêt de deux productions maison, All My Children et One Life to Live, faute d’audience. Les deux feuilletons faisaient pleurer dans les chaumières depuis respectivement 41 et 43 ans.
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Cette décision apparaît comme la dernière manifestation d’une tendance lourde, puisque CBS s’était débarrassée de Guiding Light et As the World Turns (ah, les titres de soaps !) ces deux dernières années. Désormais, seules les superstars du genre tiennent debout, comme General Hospital (Hôpital central), The Young and the Restless (Les Feux de l’amour) ou encore The Bold and the Beautiful (Amour, gloire et beauté).
« Nous sommes loin de l’âge d’or des années 70 et 80, analyse l’historienne Marjolaine Boutet, auteur de Les Séries télé pour les nuls (First Editions). A l’époque, le mariage de Luke et Laura dans General Hospital battait en audience celui de Charles et Diana ! Ils faisaient la une de Time Magazine. Traditionnellement diffusés en journée, les soaps envahissaient aussi les grilles de soirée avec Dallas, par exemple. La grande crise actuelle a un nom : la téléréalité. »
Inventés et financés par les grandes marques de lessive dans les années 40 (d’où leur nom), les soaps ont toujours eu une fonction : satisfaire la ménagère de moins de 50 ans, cet emblème virtuel du spectateur de télévision transformé en simple consommateur. Or, la ménagère made in USA semble avoir désormais porté sa préférence sur les Bachelor et autres Real Housewives… La vilaine.
« Souvent, les émissions de téléréalité coûtent moins cher, explique Marjolaine Boutet. Elles utilisent les mêmes recettes dramatiques, sans payer d’acteurs ! Dans un marché télévisuel aussi émietté, c’est une aubaine pour les chaînes, qui cherchent à réduire les coûts. Le soap est associé à un modèle économique du passé, il est le premier à passer à la trappe. Certains font aujourd’hui des efforts pour se renouveler en mettant en place des intrigues sociales, mais ça ne prend pas. Les audiences chutent. »
ABC vient d’annoncer qu’elle remplacerait ses soaps annulés par un show de cuisine et une émission d’art de vivre, tandis que la chaîne spécialisée SoapNet Channel se transformera de fond en comble l’année prochaine, pour s’adresser désormais aux enfants… Cruauté !
Le phénomène touche en priorité les Etats-Unis, puisque les telenovelas (Amérique latine et du Sud, Asie) cartonnent, tandis que l’Angleterre s’accroche toujours à ses piliers comme Coronation Street. Quant à la France, elle s’est découvert une passion pour le genre avec Plus belle la vie, qui fait régulièrement rendre gorge aux journaux de vingt heures. Mais le feuilleton marseillais fait figure d’exception.
« La spécificité américaine, c’est la taille du marché, note Marjolaine Boutet. Je ne crois pas que les soaps vont complètement disparaître. Leur héritage est présent partout : l’art du cliffhanger, les intrigues croisées, tout ce qui fait le quotidien des séries télé d’aujourd’hui, le soap l’a inventé ! »
Curieusement avant-gardiste, le soap ? Son importance ne fait aucun doute. De Desperate Housewives à Gossip Girl, de nombreuses créations contemporaines en ont proposé des variations.
Le plaisir éternel de la série doit aussi à l’artificialité du récit que le soap a porté vers une sorte d’épure. Et s’il devait réellement disparaître ? Il restera toujours les redifs. Elles devraient nous occuper pendant un bon moment.
Olivier Joyard
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