Un documentaire en six épisodes produit par l’omniprésent Ryan Murphy arrive sur Netflix et tente de rendre un peu d’humanité à l’une des figures les plus célèbres du XXe siècle : Andy Warhol.
Un docu-série sur Andy Warhol en 2022 ? Quelle drôle d’idée, tant le personnage a été scruté sous toutes les coutures et interprété mille fois à l’écran (par Bowie himself dans le Basquiat de Schnabel en 1996 jusqu’à une apparition fantasque dans Men In Black 3, c’est dire). L’ambition de dépeindre un Andy Warhol inédit, qui plus est intime, semble impossible.
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“Andy Warhol aurait adoré notre époque, celle de TikTok et du quart d’heure de célébrité”, assène l’acteur Rob Lowe, dès les premières minutes de la série. Sans blague ? Prenant comme fil conducteur le fameux journal d’Andy Warhol, le documentaire d’Andrew Rossi tente en six épisodes de le débusquer non dans ses aphorismes, ses œuvres ou ses apparitions mondaines, mais dans ses interstices. Celles et ceux qui ont le courage de lire ledit journal savent à quel point il est truffé d’anecdotes, de menus de repas et de rendez-vous chez le dermato.
Un projet opulent
Prisonnier de ce choix de coller au journal (notoirement expurgé) édité par Pat Hackett et publié un an après la mort du pape du Pop Art, le documentaire passe à la trappe toute une partie de la démarche artistique d’Andy Warhol, ellipsant de façon presque violente, sa jeunesse, son adolescence, ses premiers pas dans la pub.
Mais le projet est opulent. Il alterne un nombre vertigineux d’images d’archives, de scènes de reconstitution et d’interviews de visages plus ou moins proches de l’artiste ou connu du public : John Waters, Fab Five Freddy, Jerry Hall… Une bonne moitié de la série nous dit ce que nous savions déjà de Warhol : il était blasé, dépressif et vivait une sexualité anémiée conflictuelle, mais il avait mieux que personne compris comment concilier art, mondanités et business.
Les amours d’Andy
Au fur et à mesure des témoignages, il est amusant de noter qu’à l’heure de l’ultra transparence (la nôtre), l’auteur prophète du “quart d’heure de célébrité” était une énigme même pour ses ami·es les plus proches. Car Warhol veillait à la plus stricte étanchéité entre sa vie personnelle et le personnage perruqué et noctambule qu’il présentait au monde.
Le documentaire se fait plus humain lorsqu’il glose sur le peu que l’on sait des histoires d’amour de Warhol. Deux ou trois fils émergent de cette narration. Lorsque le réalisateur tente de reconstituer par fragments l’histoire d’amour conjugale que l’artiste a entretenu pendant douze ans avec le designer d’intérieur Jed Johnson, beauté sublime et secret bien gardé, à une époque ou la notion même de couple gay est encore un concept inimaginable. Mais à la fin des années 1970, le studio 54 aura la peau de leur histoire d’amour.
Par chagrin ou réaction, Warhol jette son dévolu sur John Gould, yuppie des studios de la Paramount, que l’artiste ne cessera d’aimer jusqu’à sa mort du sida en 1989. Enfin, la série s’intéresse à la relation plus complexe et productive avec Jean-Michel Basquiat. Tour à tour père et fils, vampire ou victime, mentor ou exploiteur. La série explore sans détour la bisexualité de Basquiat, fait controversé, mais qui donne un éclairage nouveau à la relation entre ces deux amis artistes que tout oppose : l’un blanc, l’autre noir, l’un superstar, mais en perte de vitesse, l’autre en pleine ascension mais brûlant la chandelle par les deux bouts.
Murphy et Warhol, les ogres
Peut-être aurait-il fallu se concentrer sur ce Warhol amoureux ? Peut-être, à la manière de la mini série Halston, la fiction aurait été un bien meilleur écrin pour donner corps et cœur à Andy ? Ça n’a pas été le choix du réalisateur et de son producteur.
Ce qui frappe, tout au long de ce documentaire produit par Ryan Murphy, c’est le parallèle évident entre le producteur télé et Andy Warhol. Deux producteurs qui n’aiment pas faire, mais “faire faire”. Deux ogres imposant leur nom sur l’époque et le travail des autres : des séries Halston à Pose (qui doit tant à son casting et au scénariste Steven Canals) pour l’un, de la pochette du premier Velvet à tout ce que faune de la factory pouvait offrir à l’autre. À la fin, seul leur nom reste. Andrew Rossi, le réalisateur de ce docu-série est sans doute autant écrasé par le nom de Murphy, que Paul Morrissey l’était par les « Andy Warhol Presents » ouvrant ses affiches de ses films Flesh, Trash ou Heat. C’est ainsi.
Après des années à scruter sa propre époque (Nip Tuck, Glee, The New Normal) celui que le New Yorker qualifiait d’“homme le plus puissant de la télé” semble aujourd’hui obsédé par la reconstitution d’une histoire queer américaine. The Assassination of Gianni Versace, Halston, Hollywood, Pose, The Normal Heart… La machine Ryan Murphy est irréfutablement tournée vers le passé.
Le Journal d’Andy Warhol exige de la patience aux spectateur·trices. Dans son épisode, le plus passionnant, tandis que les exégètes se contredisent pour savoir si Andy Warhol en a fait assez pour la cause gay et la lutte contre le sida (il a clairement fait moins dans ce combat qu’un artiste comme Keith Haring), l’obsession pour la mort de Warhol, sa ferveur religieuse constante depuis son enfance permettent de ressentir une désolation : les hommes puissants sont des gens malheureux.
Le journal d’Andy Warhol d’Andrew Rossi, produit pat Ryan Murphy – disponible sur Netflix.
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