Les soldats rentrent d’Irak, le monde a changé et les séries aussi. Homeland, la plus forte d’entre elles, tord de façon saisissante tous les ressorts de la fiction paranoïaque. Coqueluche des sériephiles téléchargeurs, série préférée de Barack Obama, elle arrive sur Canal+ à la rentrée. Immersion immédiate.
Adaptée librement d’une série israélienne (Hatufim), Homeland raconte l’histoire d’un soupçon qui rend fou. Agent de la CIA, souffrant de troubles de la personnalité sans que sa hiérarchie en soit informée, la blonde Carrie (Claire Danes, comme fastforwardée directement depuis son adolescence dans Angela, 15 ans) apprend auprès d’une source à Bagdad qu’un soldat américain a été « retourné » et pourrait s’en prendre à son propre pays.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Quelques mois plus tard, le G. I. Nicholas Brody, porté disparu depuis sept ans, est subitement libéré par un groupe islamiste. Son retour à Washington a lieu dans la peau d’un héros, pour tous sauf pour Carrie, persuadée que le miraculé cache un traître en puissance. Bienvenue dans un monde ambigu et retors. Le nôtre.
http://www.youtube.com/watch?v=q4-KYAWPKzY
La série d’une époque
S’il fallait dresser le portrait-robot de la série contemporaine idéale, Homeland s’imposerait comme une candidate naturelle. Voici peut-être celle d’une époque où le genre de la série est devenu tout-puissant, à la fois adulte, sûr de ses effets et joueur. Depuis son arrivée sur la chaîne américaine Showtime en novembre 2011, le buzz Homeland se répand, tel un virus fictionnel fatal, au gré des diffusions et des téléchargements. Plaisir. Addiction. Fascination. Les qualificatifs abondent.
On se croirait revenu dix ans en arrière, quand 24 heures chrono électrisait une génération par surprise. Sauf qu’aujourd’hui, les fans de séries sont plus nombreux et surtout plus difficiles à accrocher. La décennie n’a pas manqué de grandeur, de Mad Men à Breaking Bad en passant par Lost. L’exploit d’Homeland s’avère d’autant plus impressionnant : elle boxe dans la même catégorie. Il se pourrait même que la création d’Howard Gordon, Gideon Raff et Alex Gansa invente une catégorie à elle seule. Si quelques séries possèdent son ampleur dramatique, peu ont su toucher aussi juste et aussi large que cette relecture nouveau genre des éternels récits paranos made in USA. Le sens de l’entertainment d’une série grand public couplé à l’ambition d’une création du câble : tel est l’ADN rarissime d’Homeland.
Le couple de l’année
La série repose sur un classique récit d’espionnage auquel elle adjoint des appendices qui la font dévier de son axe. L’un de ses points forts est une love story intense entre les deux protagonistes, assez extrême pour ravager tous les malades de l’amour. Craquer pour celui que l’on devrait éviter, voire haïr, est-ce bien raisonnable ? Habituée aux flirts sans lendemain, l’héroïne impulsive et bipolaire d’Homeland n’a pas le temps de se poser la question. Elle avance tête baissée, prête à tout, submergée par le garçon plein de douleur qu’elle trouve sur sa route. Même si elle le soupçonne de préparer un attentat. Au cours des premiers épisodes, Carrie fait installer des caméras chez le soldat Brody pour observer ses faits et gestes et déceler les indices d’un éventuel comportement étrange.
De manière assez fine, la série retourne alors les instruments contemporains de la surveillance, axés sur la répression, pour en faire les moteurs de la libération du désir de son héroïne. La télésurveillance se transforme en dispositif palpitant, Carrie glissant doucement mais sûrement vers l’attraction. Le soupçon se double de sentiments et une pelote impossible à démêler se forme sous nos yeux. En observant sa proie dans son intimité à longueur de journée (Brody dort peu, fait l’amour brutalement à sa femme qui le trompe), l’espionne borderline découvre surtout un homme aussi solitaire qu’elle. Au gré des douze épisodes de sa première saison, Homeland travaille à la jonction sulfureuse entre ces deux solitudes et invente le mélo parano d’aujourd’hui. Carrie se gave de médicaments, lui a le torse strié de cicatrices, souvenirs de sa captivité : ces deux corps blessés sont faits pour se toucher.
Le climax de ce jeu de séduction torride a lieu lors du grandiose épisode 7, sommet de tension sexuelle dont il est difficile de se remettre. La série elle-même a eu du mal, ne repartant pour de bon que dans les deux derniers épisodes.
L’Amérique traumatisée
Alors que la France interroge la crédibilité de ses services de renseignements depuis les assassinats de Toulouse, Homeland appuie sur la plaie la plus profonde de l’Amérique contemporaine : le 11 septembre 2001. “J’ai raté quelque chose ce jour-là”, culpabilise l’angoissée Carrie dans le pilote, avant que son mentor ne réplique : “On a tous raté quelque chose ce jour-là.” Les fantômes rôdent encore. En une décennie, ils ont transformé les êtres en profondeur et perturbé les repères. Le doute n’est pas une notion vague dans Homeland. Il se répand comme une ombre noire sur le réel. Il cimente la fiction, irriguant les scènes dans l’intimité des familles et des couples (celui qui m’aime dit-il la vérité ?) comme au plus haut niveau du pouvoir. Si Jack Bauer était l’homme des années guerrières de George W. Bush, Carrie Mathison est la femme d’une Amérique questionnant ouvertement sa puissance et la légitimité de ses actions. Guantánamo a laissé des traces. La paranoïa ne suffit plus à justifier une méthode, la torture n’a rien d’un choix valable.
Quoique parfois amené au prix de grosses ficelles (heureusement rares), ce versant politique d’Homeland s’avère passionnant. Ironiquement, la série est écrite en grande partie par d’anciens piliers de 24 heures chrono qui rendent une copie très différente, comme s’ils pouvaient enfin imaginer un contrechamp à ce qu’ils ont dû montrer de manière unilatérale pendant si longtemps.
http://www.youtube.com/watch?v=FanYA2OXUHs&feature=player_embedded
Le monde a changé, les séries aussi. Homeland a intégré comme si de rien n’était une décennie de révolutions narratives et de héros déphasés pour déplacer les équilibres traditionnels : le Mal y est incarné par un soldat de la bannière étoilée, père de famille ; le Bien repose sur les frêles épaules d’une jeune femme qui gobe des pilules et pourrait bien halluciner. La maladie mentale de l’héroïne est incorporée à l’intrigue comme un élément incontrôlable, un puissant vecteur de récit. Pour saisir toute la portée de cette trouvaille, il faudra voir la première saison jusqu’à la toute fin. Mission tout sauf impossible.
Homeland saison 1 à partir du 13 septembre sur Canal+. Saison 2 le 30 septembre sur Showtime
{"type":"Banniere-Basse"}