À l’occasion de la sortie de la saison 3 d’ »Orange Is The New Black », rencontre avec une de ses actrices les plus emblématiques, Laverne Cox, pour évoquer l’évolution de son personnage Sophia mais aussi les conséquences d’être devenue « l’une des personnes trans les plus connues au monde ».
Dans Orange is The New Black, son personnage est enfermé après avoir organisé une fraude à la carte bleue et découvre en prison une vie à la fois éprouvante et paradoxalement pleine de possibilités. L’hilarante et intelligente Sophia Burset est une transsexuelle. Depuis trois saisons maintenant, nous suivons son évolution vers une forme d’épanouissement dans le bordel toujours saisissant du pénitencier fictif de Lichtfield. Son interprète, Laverne Cox, elle-même transsexuelle, grimpe vers une starification qui ne semble pas connaître de limites.
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Depuis la couverture du prestigieux Time Magazine, en 2014, cette native de Mobile, dans l’Alabama – le Sud profond des Etats-Unis –, raconte son histoire, ses luttes et ses difficultés, comme une tentative de suicide à l’âge de 11 ans à laquelle elle ne fait plus référence. Le vrai sujet est ailleurs. Pleine de repartie, Laverne Cox préfère désormais remplir la « mission » qu’elle s’est donnée : profiter de sa popularité pour mettre certaines questions sur la table et recentrer le débat.
Lors d’une interview devenue célèbre, elle remettait à sa place gentiment mais fermement Katie Couric, présentatrice iconique de la télévision américaine, pour contester les éternelles questions en rapport avec les opérations de changement de sexe qui, de son point de vue, “objectifient les personnes transsexuelles”.
Ancienne danseuse devenue actrice – elle a aussi présenté une émission de téléréalité sur VH1 –, Cox a été nommée aux Emmy Awards l’année dernière, une première pour une trans. Elle possède depuis le 26 juin une statue de cire chez Tussauds, l’équivalent londonien du musée Grévin… De passage à Paris, elle a évoqué les enjeux de la nouvelle saison d’Orange is The New Black, alors que d’autres séries mettent en scène la communauté LGBT sous un angle nouveau – l’excellente Transparent, qui vient d’être renouvelée pour une troisième saison avant même la diffusion de la deuxième. Cette mini tendance pourra-t-elle se transformer en tornade ? Laverne Cox ne s’en soucie pas et poursuit inlassablement sa quête, sourire extra large aux lèvres.
Orange is The New Black a atteint son altitude de croisière comme votre personnage, Sophia. Où la situez-vous aujourd’hui ?
Laverne Cox – Jouer quelqu’un qui est enfermé en prison, c’est intense. Jenji Kohan (créatrice de la série – ndlr) nous a expliqué qu’elle avait besoin des flashbacks qui parsèment le récit pour elle, en tant que scénariste, histoire de ne pas se sentir piégée par les personnages. Grâce à cela, Sophia, la femme que je joue, révèle des dimensions multiples, une profondeur insoupçonnée. Elle a un fils et une relation très forte avec son ex-femme. De l’amour persiste entre eux. Certains couples survivent à la révélation de la transsexualité de l’un des conjoints, mais pour la majorité, ce n’est pas le cas.
Au quotidien, Sophia fait tout pour exprimer sa créativité et pour que son imagination fonctionne encore, malgré les barreaux. Chaque matin, elle doit trouver les moyens de supporter le manque de liberté, en se disant qu’elle va retrouver un jour sa famille. Mais elle peut aussi trouver de la joie dans le présent, en s’occupant des cheveux des autres détenues. En tenant ce salon de coiffure, d’une certaine façon Sophia devient elle-même, enfin. En tant que transsexuelle, elle n’a pas réalisé sa transition longtemps avec son incarcération, alors nous sommes tous les témoins de son évolution, de son invention. Elle découvre sa féminité en prison et c’est quelque chose d’incroyable, d’étrange.
Quels obstacles rencontre-t-elle ?
Sophia essaie de vivre et d’avancer, mais le système ne la comprend pas toujours. On l’a constaté lors de la première saison, quand l’administration lui interdisait de prendre ses hormones. Beaucoup de trans connaissent cette situation quand ils sont enfermés. Sans révéler l’intrigue de cette saison trois pour ceux qui doivent encore la regarder, je dirais elle a encore des soucis avec le système. J’ai adoré certaines scènes qui ont été incroyables à tourner : très crues, très vraies, presque trop vraies pour moi… Jenji a voulu orienter les choses vers les sujets de la foi et de la maternité. Tout ce que fait Sophia durant cette saison a à voir avec cela. Sa relation avec son fils, la manière dont elle essaie de le protéger ; son désir de mère, qui entre en conflit avec d’autres prisonniers. Cela bouge beaucoup cette saison pour mon personnage. J’ai trouvé que d’ailleurs, tout le monde devenait meilleur, comme si l’expérience aidait. On se bouge le cul collectivement !
L’écriture a-t-elle évolué ?
Je suis toujours soufflée par la qualité des textes. Pour moi, le mélange de drame et de comédie, ce qu’on appelle maintenant la dramédie, a fonctionné à plein cette saison. Les enjeux sont vraiment hauts et comme cela doit être le cas dans les bonnes séries, tout commence sur la page. Jenji a vraiment la main sur Orange Is The New Black avec ses scénarios. Elle nous pousse le plus loin possible, dans des recoins sombres et difficiles.
L’actualité récente a mis en avant les personnalités transsexuelles, comme Caitlyn Jenner ou vous-même. Qu’est-ce que cela vous inspire ?
Caitlyn Jenner vient de faire la couverture de Vanity Fair aux Etats-Unis. Pour moi, c’est étrange d’être l’une des personnes trans les plus connues au monde depuis la couverture de Time Magazine… Mais ce que je sais c’est que depuis que ma visibilité a largement augmenté, depuis que la visibilité des transsexuelles a pris des proportions nouvelles, eh bien, les femmes trans et noires sont toujours assassinées plus que les autres, si l’on se réfère aux statistiques. Sept d’entre elles ont été assassinées durant les huit premières semaines de 2015 aux Etats-Unis. La violence, le chômage, les discriminations, le mauvais accès aux soins sont toujours des réalités pour les trans américain(e)s. Alors, la visibilité n’est qu’une petite partie de l’équation. Cette visibilité doit pouvoir déboucher sur autre chose, sur l’amélioration de la vie quotidienne des personnes transsexuelles, sur un changement de mentalités, pour que les gens différents ne soient pas ostracisés par le système. Pour que le système lui-même change.
Vous êtes pessimiste ?
Du point de vue positif, beaucoup de trans m’ont contactée, comme cette femme qui venait de faire son coming-out au travail, et pour qui cela s’était bien passé. Elle m’a dit que c’était grâce à moi et à Orange Is The New Black qui agit comme un point de référence pour la représentation des transsexuels. Des gens ayant une visibilité médiatique comme Janet Mock, Geena Rocero, Carmen Carrera et moi-même, nous pouvons aider. Quand je suis allée à la télé, j’ai insisté sur le fait qu’il fallait évoquer les trans pour d’autres raisons que les questions de chirurgie et de transition, autrement que par rapport à leur corps.
Nous essayons de poser les fondations d’un changement. Tout le monde considère que celui-ci arrive brutalement, dans la fluidité, mais je peux vous assurer que les choses prennent beaucoup de temps. Les émeutes de Stonewall ont eu lieu en 1969. C’était la première révolte de trans et de gens différents qui ne se sont pas laissé faire… Mais ensuite, les trans ont été mis au fond du bus dans la lutte pour les droits LGBT pendant quarante ans. La vitesse dont parlent certains me semble toute relative.
Recueilli à Paris lors d’une table ronde par Olivier Joyard.
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