Diffusée depuis deux semaines, l’adaptation américaine de la série anglaise est
déjà menacée par une puissante association conservatrice.
Le déchaînement est quasiment sans précédent, l’hystérie quotidienne, la menace bien réelle. Depuis la diffusion du premier épisode de Skins version US sur MTV, le 17 janvier dernier, l’Amérique panique et les créateurs de la série originelle, qui travaillent sur cette adaptation fidèle, découvrent chaque jour l’ampleur des interdits que leur impose ce pays.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Pour rappel, Skins existe depuis 2007 sur le réseau british E4 et met en scène des adolescents dissipés (des ados, quoi). On les voit gober des pilules, glisser leurs mains dans des culottes amies, insulter leurs parents, chercher toute rage dehors le curseur d’une vie instable. Mais sans aucune image franchement crue : pas l’ombre d’un sexe ou d’un sein à l’horizon, Larry Clark peut dormir tranquille, il demeure seul sur son terrain.
Pourtant, l’association ultra-conservatrice PTC (Parents Television Council) a sorti les crocs sans crainte des raccourcis, dressant ce portrait-robot carabiné de Skins : « La série pour enfants la plus dangereuse jamais vue. »
Ridicule ? Cela dépend pour qui et de quel point de vue. Moins d’une semaine après la diffusion du premier épisode, Skins avait déjà perdu plusieurs annonceurs majeurs (H&R Block, Wrigley, General Motors, Taco Bell et Subway), tous poussés au retrait par le lobbying du PTC. Cette organisation fondée en 1995 par un certain L. Brent Bozell III, un réactionnaire notoire, s’est faite connaître grâce à ses positions radicales en terme de moeurs. Sa mission : traquer « l’indécence ».
Le PTC a connu son heure de gloire en hurlant aux loups lorsque Janet Jackson a montré un téton (recouvert d’une étoile) à la mi-temps du Superbowl 2004. Ses cibles ont (ou ont eu) pour nom NYPD Blue, Glee, Friends, American Dad, FBI : Portés disparus, et on ne parle que des séries… Son pouvoir est bien réel. Car au-delà des retraits d’annonceurs, des ennuis judiciaires menacent potentiellement Skins.
Responsable pour MTV du développement des séries, Liz Gateley avait accepté que le casting américain suive la même orientation que celui du show anglais, en utilisant des acteurs ayant l’âge de leur rôle – entre 15 et 19 ans. Beaucoup trop jeune pour le PTC, qui a saisi illico les autorités fédérales et leur a demandé d’ouvrir une enquête pour violation des lois américaines sur la pornographie infantile !
Acculé par ce tir de barrage grossier, le cocréateur de la série Bryan Elsley s’est fendu d’une longue lettre rendue publique le 25 janvier : « Skins est écrite du point de vue des teenagers, elle reflète leur vision du monde. (…) Elle essaie de dire la vérité. Cette vérité peut être douloureuse pour les adultes et les parents. (…) Nous partons de l’idée que les ados ne sont pas naturellement destinés à mal se comporter, mais plutôt qu’ils sont intensément moraux et enclins à juger leur propre comportement et celui des autres. Parfois, mais pas toujours, ils se trompent. (…) Notre approche n’est pas inconséquente. »
Et sinon, que vaut la série ? Disons que l’horrible polémique n’empêche pas notre relative déception. Pour l’instant, le copier-coller est quasi parfait, mais il manque pourtant à ce Skins 2.0 un peu de tout : la douceur rêche de l’original, son humour, son désespoir chantant. Les changements (le personnage gay a été remplacé par une lesbienne) n’apportent pas une flamme nouvelle.
On garde malgré tout espoir, puisque l’épisode 2 s’est avéré meilleur que le premier. Reste à espérer que la série passera l’hiver : si le pilote a rassemblé trois millions de spectateurs attirés par le scandale, l’audience a chuté de moitié la semaine suivante. La chaleur des débuts qui retombe ?
Olivier Joyard
Skins, chaque lundi sur MTV US. En France au mois d’avril.
{"type":"Banniere-Basse"}