Les deux premières saisons de Better Things arrivent en même temps sur Canal+ Séries. La chronique autobiographique et sincère de la vie d’une mère (et fille) quinquagénaire portée par sa tonitruante créatrice, actrice, scénariste et réalisatrice Pamela Adlon.
Au cœur du générique de “Better Things”, tourné à l’arrache dans les rues de Los Angeles entre palmiers et marchands de glaces, le hurlement de Mother déchire l’air. Pour avoir le droit d’utiliser cette chanson de John Lennon et du Plastic Ono Band enregistrée en 1970, la créatrice Pamela Adlon s’est fendue d’une lettre de huit pages à Yoko Ono, doublée d’une supplique presque embarrassante à la chaîne FX, qui a fini par casser sa tirelire pour lui offrir ce supplément musical. Depuis ce moment-clé, Better Things s’est montrée à la hauteur du cadeau qui lui a été fait, en devenant l’une des meilleures nouveautés de ces deux dernières années, parfois discrète mais toujours habitée par une rage d’exister que toutes les séries contemporaines n’ont pas.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop","device":"desktop"}
https://www.youtube.com/watch?v=miBO7DtxFiI
Alors que le titre de la série est emprunté à celui d’un single tardif des Kinks, le choix de la chanson du générique ne ment pas. Il s’agit bien de dresser le portrait d’une mère. Mais une mère du genre que nous n’avions jamais vu comme héroïne – ou presque. Entourée de ses trois filles, dont le géniteur ne montre plus le bout de son nez, la quinquagénaire Sam Fox doit se coltiner sa propre “mother” qui habite à deux maisons de là. Une présence plus angoissante que réconfortante, la grand-mère étant mentalement instable, et aussi fragile qu’envahissante.
Tout respire le vécu
Cinq femmes de tous les âges occupent donc le devant de la scène, c’est assez rare pour être signalé. Les journées se suivent sous la chaleur lumineuse de Los Angeles. C’est le bordel dans la maison. Et il se passe quoi ? Il se passe ce que les meilleures séries à tendance “chronique” savent faire – le mot fait parfois horreur aux patron.ne.s de chaînes, mais qu’importe –, c’est-à-dire une sorte d’étalement doux et stimulant d’histoires quotidiennes, à base de conversations dans le salon, en voiture, au restaurant, de petites errances souvent comiques sans grand enjeu sinon celui de vivre.
Dans Better Things, tout respire le vécu, sans que cela ne se transforme en chantage naturaliste déjà vu. Il faut dire que la vie de Pamela Adlon est déjà en soi un spectacle. Pour être plus précis, la créatrice-actrice-scénariste-réalisatrice est immergée dans le monde du spectacle depuis plusieurs décennies. Née à Albany, au nord de l’Etat de New York, d’un père producteur de télé, la minuscule brune a débuté dès l’âge de 9 ans en tant qu’actrice (notamment dans Grease 2 !) avant de connaître une longue pause quasiment jusqu’à ses 30 ans, moment où elle s’est spécialisée avec succès dans le travail de comédienne de voix. Pamela Adlon vit grâce à elle depuis au moins la fin des années 1990.
Cette voix tonitruante lui sert aussi à échanger, discuter, argumenter lors de ses rencontres avec des hommes, moments qu’elle transforme tôt ou tard en joutes verbales étirées et fascinantes
Son travail dans King of the Hill (Mike Judge, 1997-2010) lui a même rapporté un Emmy Award, avant qu’elle ne retrouve un rôle impliquant l’ensemble de son corps et son sens du timing imparable dans Californication, auprès de David Duchovny. Cette voix, à la fois rauque et pleine d’énergie, pour tout dire exceptionnelle, contribue grandement au charme et à la crudité de Better Things. Ses intonations claironnantes transpercent l’écran à intervalles réguliers, souvent pour engueuler sa fille ado qui assure côté n’importe quoi.
Cette voix tonitruante lui sert aussi à échanger, discuter, argumenter lors de ses rencontres avec des hommes, moments qu’elle transforme tôt ou tard en joutes verbales étirées et fascinantes. Le troisième épisode de la deuxième saison, l’un des plus beaux moments de télévision vus depuis longtemps, reformule brillamment le genre pourtant ultrabalisé de la comédie romantique. Il illustre une conception de la vie comme éternelle négociation avec le réel. La série filme ce mouvement de balancier le plus ardemment possible.
Avec et sans Louis C.K.
La dimension autobiographique de Better Things n’est plus à prouver, Pamela Adlon s’inspirant de sa propre expérience, notamment avec ses filles, dans tous les épisodes. Une manière d’assumer son intimité à l’écran, après l’avoir dévoilée chez Louis C.K., auprès de qui elle a joué le premier rôle féminin de la série mythique Louie pendant des années. Sur cette lancée, Adlon et Louis C.K. – meilleurs amis il y a encore quelques mois – ont créé ensemble Better Things.
Le stand-uppeur-scénariste-réalisateur est crédité à l’écriture de dix-neuf épisodes sur les vingt que comptent les deux premières saisons. Même si la série a toujours été celle de Pamela Adlon, Louis C.K. fut le principal collaborateur de cette dernière jusqu’au mois de novembre 2017, quand un article du New York Times a révélé des faits d’agression sexuelle commis par l’intéressé sur de jeunes comiques féminines – et très vite confirmés par lui.
L’épisode 9 de la deuxième saison venait d’être diffusé. Quelques jours plus tard, le dixième épisode passait avec un générique modifié, le crédit de producteur principal accordé à Louis C.K. effacé. Depuis, Pamela Adlon a coupé les ponts avec lui. Elle s’exprime très peu sur l’affaire après avoir dit sa déception, et travaille seule à la troisième saison. Après avoir réalisé l’ensemble des épisodes de la deuxième, son émancipation va devenir complète. Une histoire finalement cohérente avec la série, l’une des plus féministes jamais arrivées sur nos écrans.
Better Things saisons 1 et 2 Le mercredi à 20 h 50, Canal+ Séries. Disponible en intégralité sur le replay
{"type":"Banniere-Basse","device":"desktop"}