La saison 7 d’Engrenages peine à garder le délicat équilibre, jusqu’ici assuré, entre évolution de l’intrigue policière et psychologie des personnages.
La capitaine Berthaud et son entourage se retrouvent dans un état de tension après que les pulsions des uns et des autres ont provoqué plusieurs chocs sismiques (entres autres agression, maternité non désirée, maladie) lors de l’excellente saison 6 d’Engrenages, la série pionnière de Canal+ qui tient debout depuis maintenant quatorze ans.
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https://www.youtube.com/watch?v=NW7hywIFi_Q
En début de saison 7, les liens de la petite tribu se sont délités : l’histoire d’amour entre Laure Berthaud et son collègue Gilou a poussé le troisième larron, Tintin, hors de leur bureau de police. L’avocate rousse, Joséphine Karlsson, a foncé en voiture sur l’homme qui l’avait violée et a atterri en prison.
Qui a tué le commissaire Herville ?
Le juge Raban, quant à lui, se retrouve sur la sellette avec l’arrivée imminente de sa retraite. Tous et toutes sortent leurs griffes pour se raccrocher aux lambeaux de leurs vies. Des vies tournant autour du travail et donc de leur fonction : protéger les autres, parfois en s’oubliant.
Dans cette septième saison, le cliquetis d’une nouvelle intrigue policière s’enclenche. Laure et son équipe doivent comprendre qui a tué l’un des leurs – retrouvé mort dans un restaurant chinois. Lors des trois dernières saisons, la showrunneuse Anne Landais avait réussi à mettre en place un délicat numéro d’équilibriste : faire évoluer une intrigue policière complexe qui nous tenait en haleine tout en développant les liens affectifs entre les personnages avec chacun leurs désirs profonds. Or, depuis son départ – Marine Francou reprend la direction de l’écriture pour cette saison 7 –, la créature sérielle semble s’autodévorer.
En plaçant l’intrigue principale au cœur des bureaux de la PJ, l’enquête manque d’air. On finit par regarder les épisodes non plus pour connaître la résolution de l’intrigue, mais pour ne pas lâcher la main des héros et héroïnes que l’on aime tant. Il aurait presque fallu que la série assume que ses personnages ont trop grandi et qu’elle tranche en mettant au premier plan leurs cheminements internes plutôt que de basculer sans cesse entre eux et l’enquête sur la mort de leur collègue.
La question des femmes, devenues le ciment émotionnel d’Engrenages
Car Engrenages décolle réellement dans les moments de flottement, pendant les scènes d’inaction, lorsque la caméra s’attache aux personnages traversés par le doute et le désir : dans une voiture, où les visages de Laure et Gilou se frôlent quelques instants alors qu’ils sont en pleine filature ; dans la cellule de prison, où Joséphine pose ses yeux sur sa codétenue avec tendresse et désir. Pourtant, cette situation d’extrême intimité entre deux femmes– celle qu’imposent la taille de la cellule et leur expérience commune – se trouve évacuée trop rapidement. La série préfère régler cette relation en la mettant sur le plan judiciaire plutôt que de plonger dans l’ambiguïté des sentiments.
Reste la question des femmes, devenues au fil des années le ciment émotionnel d’Engrenages. La saison 6 avait donné une ampleur inédite à ses héroïnes, en forçant Laure et Joséphine à s’interroger profondément sur leur capacité d’agir. Laure tombait enceinte d’un enfant non désiré, Joséphine se réveillait au bord de la Seine après avoir été droguée et violée. Ces deux femmes sortaient de l’imaginaire français et même le bousculaient: Laure n’avait aucun « instinct maternel », devenir mère restait une fonction ambivalente pour elle ; quant à Joséphine Karlsson, son viol la transformait profondément, dès le début de cette saison, en une forme de violence féminine létale, une héroïne déchaînée. Mais au fil des épisodes, ces décisions scénaristiques courageuses se recroquevillent tristement sur elles-mêmes pour arriver au plan final de l’épisode 12, plein de bons sentiments. On perçoit déjà un avant-goût de la fin (bien que la saison 8 ait déjà été commandée par Canal+). Une forme de renoncement prématuré, comme s’il fallait déjà nous montrer la sortie de secours que chacun va prendre.
L’émotion que l’on aimerait ressentir dans des moments clés – lors d’une scène de procès, par exemple, ou d’adieux – s’arrête net. Quitte à ce que l’intrigue policière passe au second plan, il faudra que la saison 8 embrasse le flou et l’ampleur des sentiments et que la bête fictionnelle qu’est Engrenages soit réellement lâchée.
Engrenages d’Alexandra Clert et Guy-Patrick Sainderichin, avec Caroline Proust, Thierry Godard, Fred Bianconi, Audrey Fleurat.
Saison 7 à partir du 4 février sur Canal+
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