Avant la diffusion de la saison 3 de “La Chronique des Bridgerton”, Shonda Rhimes, showrunner qui a su imposer des personnages racisés dans des fictions populaires, intercale une mini-série sur l’épouse du roi George III, la réinterprétant en femme noire.
Il y a deux ans, Shonda Rhimes renégociait son contrat avec Netflix pour une somme comprise entre 300 et 400 millions de dollars, ce qui a fait d’elle la showrunner la mieux payée du monde avec Ryan Murphy, autre scénariste star capturé par le géant du streaming. Si ce dernier a crevé l’écran l’an dernier avec Dahmer, créant un buzz sans précédent (à part peut-être Squid Game et Stranger Things), Shonda Rhimes a moins marqué les esprits récemment. Bien sûr, Grey’s Anatomy, qui l’a placée sur le devant de la scène, continue d’exister sur ABC – même si, après dix-neuf saisons et une vingtième à venir, le concept s’essouffle –, et La Chronique des Bridgerton, sa première cocréation pour Netflix, a cartonné.
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Mais celle qui avait su reformuler la fiction populaire au milieu des années 2000, imposant des personnages racisés au centre du casting, donnant à des femmes noires des positions de pouvoir, jouant avec les codes de la comédie romantique, politique ou du thriller, semblait ces derniers temps moins innovante. En 2022, sa mini-série Inventing Anna, qui racontait l’histoire de l’arnaqueuse russe Anna Delvey, peinait à convaincre, la mécanique typique de Shonda Rhimes (vitesse + mauvais esprit) y tournant à vide. Le signe d’une usure, alors qu’elle écrit des scénarios depuis plus de vingt-cinq ans ?
Aristocratie oblige
La Reine Charlotte : un chapitre Bridgerton, troisième occurrence de la saga lancée en 2020, remet les pendules à l’heure. Il s’agit, en six épisodes, d’une sorte de prequel à La Chronique des Bridgerton, où le destin de la Reine est raconté par le menu. Dans les scènes inaugurales, elle est une adolescente du Saint-Empire romain germanique, forcée de voyager vers l’Angleterre pour se marier avec le roi George. Elle n’en a pas envie, mais son statut d’aristo l’y oblige.
Dans la vraie vie, Charlotte a bien existé, mais elle n’a jamais été représentée dans la fiction en tant que personne noire – même si certain·es historien·nes évoquent la possibilité d’ancêtres africain·es. Ici, aucune ambiguïté possible : Charlotte est noire. Et ce détail qui n’en est pas un change tout. Adaptant les romans de Julia Quinn dont l’action se situe au début du XIXe siècle, Shonda Rhimes a fait de cette saga une forme d’expérience sur l’Histoire, jouant des codes de représentation contemporains pour les appliquer à un récit sur le monde d’avant.
Dès les premières images, on comprend que la scénariste tient particulièrement à cette série-là. Créditée seule en tant que créatrice, elle signe les premiers épisodes sans aide extérieure. L’ouverture, tout particulièrement, ressemble à un concentré de son art ; celui-ci n’est en rien éculé, a simplement besoin de sincérité et d’engagement.
Sous le glacis d’une série pimpante, des thèmes profonds se déploient
En une cinquantaine de minutes, un personnage naît : la nouvelle Reine (India Amarteifio, excellente) fait ses premiers pas dans un monde inconnu, et c’est assez éblouissant, jusque dans la rencontre avec le roi George, son futur époux, sur un malentendu. S’enchaînent plusieurs montées de sève, que suivent de brusques descentes et que ponctuent des flashforwards vers ce qui était jusque-là le présent de la saga des Bridgerton : la vie de la Reine devenue quinqua (Golda Rosheuvel), entourée de ses quinze enfants…
Enlevée et précise dans ses effets, la série ne lâche pas son objectif d’entertainment, tout en déroulant un programme vif et politique. Shonda Rhimes joue avec le cliché de la “femme noire en colère”, né au temps de l’esclavage et qui perdure aujourd’hui – elle avait d’ailleurs elle‑même été qualifiée ainsi par une journaliste du New York Times en 2014. Car Charlotte n’est à peu près jamais souriante, souvent guidée par une forme de rage dont la série, scène par scène, montre l’origine, loin des clichés.
L’autre sujet de La Reine Charlotte concerne le personnage masculin, le roi George (Corey Mylchreest), dont l’Histoire a retenu qu’il était atteint d’une forme de psychose. Sa maladie mentale est présente, mais avant tout du point de vue de ses effets sur la Reine, coincée dans un mariage qui la brise, appelant à l’aide, ne comprenant pas ce qui l’enserre. Shonda Rhimes est bien de retour : sous le glacis d’une série pimpante, des thèmes profonds se déploient.
La Reine Charlotte : un chapitre Bridgerton saison 1 de Shonda Rhimes, avec India Amarteifio, Adjoa Andoh, Corey Mylchreest, Golda Rosheuvel. Sur Netflix le 4 mai.
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