Un ancien disquaire à la rue traîne sa nostalgie des bancs publics aux canapés de ses amis. Adaptée du roman de Virginie Despentes, cette première saison vise souvent juste, sur une bande-son rock réjouissante.
“Décidément, c’est le deuil de tout en ce moment.” Comme une inversion du no future en mode gueule de bois, cette réplique à la fois belliqueuse et mélancolique, nichée dans l’épisode 5 de Vernon Subutex, pourrait servir de slogan rétro-punk à la série française la plus attendue de l’année.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Deux expressions différentes du même univers
L’histoire d’un monde perdu, dont les traces se sont dispersées dans les arcanes du nôtre. Nous suivons la vie d’un disquaire mythique désormais au chômage, jeté à la rue dans les premières minutes du premier épisode et en quête d’aventures, de vibrations, de survie, auprès de celles et ceux qui ont partagé sa jeunesse. Il a aujourd’hui plus de 40 ans. Il s’appelle Vernon. Des centaines de milliers de personnes connaissent une autre version de cet animal triste et séduisant à travers les romans de Virginie Despentes – cette saison est l’adaptation du premier tome, paru en 2015. L’info demande quelques précautions.
La plus grande écrivaine française contemporaine n’a pas participé aux neuf épisodes de la série, coécrits par Cathy Verney (Hard) et Benjamin Dupas (Dix pour cent), puis réalisés par Cathy Verney seule. Il faut donc accepter de ne pas jouer excessivement au boutiquier, éviter la comparaison trop frontale entre deux expressions forcément différentes du même univers.
http://www.youtube.com/watch?v=_UAP1fUOzXQ
Un choix, malgré tout, doit être précisé : pour adapter le récit à son comédien principal (Romain Duris, très inspiré, on y revient), la série a situé l’âge d’or de Vernon au milieu des années 1990, soit entre dix et quinze ans après le moment où le roman de Despentes imaginait les années Revolver – le nom de la boutique de disques tenue par Vernon autrefois. Cela donne quelques étranges anachronismes, puisque l’univers musical large embrassé par la série, des Dogs à Mudhoney en passant par Suicide, Karen Dalton, Poni Hoax, The Undertones ou Jonathan Richman, ne résonne pas de la même manière avec un héros qui a passé sa post-adolescence dans les nineties. Cela établi, la BO de Vernon Subutex s’affirme de loin comme la meilleure jamais entendue dans une série française, l’idée étant moins de suivre une histoire du rock depuis quarante ans que d’entrer dans la logique émotionnelle d’un personnage qui vit par les refrains.
Un Duris flamboyant
Ce personnage, parlons-en. Ou plutôt, cet acteur, tant ils se confondent comme des frères. Pour sa première apparition dans une série, Romain Duris n’est pas venu s’amuser comme une star en vacances. Blouson de cuir sur le dos, il fait exister Vernon avec un mélange de bonhomie, d’angoisse et de sourire. Vernon, c’est un bloc de nostalgie, celle d’une jeunesse perdue que Duris assume avec flamboyance. La série est à son meilleur quand elle s’applique à suivre sa lente chute, ses interactions tendres et violentes avec les personnes qui acceptent de l’héberger, son art de la suspension presque hors du monde. Il y a quelque chose d’assez captivant à simplement regarder ce corps à la fois punk et christique se démener pour tenir debout.
Vernon Subutex aurait presque pu faire l’économie de son deuxième axe narratif, autour de l’histoire de cassettes enregistrées par un chanteur, Alex Bleach, que Subutex a récupérées au moment où celui-ci est mort. Un producteur de cinéma en a besoin et sollicite une enquêtrice (la Hyène, dans le roman) pour les récupérer. Même si Céline Sallette est assez stupéfiante en lesbienne badass qui règle ses comptes avec les hommes à coups de poing et tombe amoureuse d’une ingénue, cette trame de la série nous ramène vers des terres plus convenues, celles de la fiction française tout juste revisitée.
Dans ces moments-là, les effets de scénario se sentent subitement beaucoup plus, tant les deux blocs (Vernon d’un côté, l’enquête de l’autre) avancent comme des entités distinctes dans les couleurs, le rythme et le ton. Vernon Subutex aurait pu proposer la première série d’atmosphère et de mélancolie française digne de ce qui se fait aux Etats-Unis depuis quelques années (de Transparent à Atlanta) et imposer sa radicalité. Mais quelque chose semble la rattraper à intervalles réguliers pour la remettre sur une route plus fréquentée.
Vernon Subutex de Cathy Verney, avec Romain Duris, Céline Sallette, Philippe Rebbot. Saison 1 à partir du 8 avril sur Canal+
{"type":"Banniere-Basse"}