D’une tension sexuelle digne d’un Jane Austen ou de Gossip Girl, saupoudrée d’anachronismes à la Marie-Antoinette de Sofia Coppola, la dernière création de Shondaland est aussi savoureuse et excitante que limitée dans son propos.
L’arrivée de La Chronique des Bridgerton sur Netflix, pile le jour de Noël, a sonné comme un demi-aveu. On a cru entendre Ted Sarandos – le big boss – nous demander de regarder cette série l’esprit plus ou moins vaporeux suite aux agapes en cours, pour que tout passe sans problème. La plateforme de streaming mondialisée joue assez gros avec ce soap en costumes adapté de livres à succès. Il s’agit en effet de la première série estampillée Shonda Rhimes (créatrice superstar de Grey’s Anatomy) mise en ligne après la signature d’un contrat gigantesque, juteux, quasi délirant.
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Pour autant, il faut préciser que l’apport artistique de la grande scénariste et showrunneuse reste à déterminer. Le seul créateur de La Chronique des Brigerton s’appelle Chris Van Dusen, soutier de l’univers Shondaland depuis le milieu des années 2000 où il a contribué à plusieurs salles d’écriture. La patronne est créditée ici en tant que productrice principale et son nom n’apparaît pas dans l’écriture des huit épisodes de cette première saison.
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L’épatante « Shonda Rhimes touch »
La série se passe au début du 19e siècle, dans le Londres de la Régence. Une célèbre chroniqueuse mondaine nommée Lady Whistledown (merveilleuse Julie Andrews) recense en voix off les excès, amourettes et scandales de la haute société, alors que la saison mondaine bat son plein. La reine adoube les jeunes femmes en vue ou les rejette, celles-ci cherchent à se marier, tout le monde s’habille, danse et boit, bref, tout paraît assez prévisible dans le monde du drame en costumes monté à la chantilly. Nous sommes dans Gossip Girl chez les British, deux siècles plus tôt.
Sauf que quelque chose se déplace. Le twist de base de La Chronique des Bridgerton est de faire de ce monde un fantasme strictement contemporain, dans le meilleur sens du terme : le principal héros masculin est noir, la Reine l’est également, de nombreux personnages n’ont pas la peau blanche. Si les costumes d’époque sont respectés, celles et ceux qui les portent n’ont rien à voir avec ce dont l’histoire a témoigné. Le couple central de la série est mixte sans que jamais cela ne soit un enjeu autre que figuratif. On retrouve bien ici la « Shonda Rhimes touch », qui consiste à donner à la fiction tout pouvoir, y compris celui de changer les dynamiques sociales, politiques et raciales.
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Les limites d’une fiction efficace
On peut apprécier la série de cette manière, louer son audace fondatrice et son sens du swing. Elle ne manque pas de charme, celui de Regé-Jean Page par exemple, qui joue le Duc de Hastings, un homme à l’histoire tourmentée et au pouvoir érotique certain en présence de la jeune Daphné Bridgerton. La façon décomplexée dont la série joue avec cette image du masculin et propose une vision largement onirique de la sexualité entre les deux amants suffit à attirer l’attention. Mais on peut aussi se poser la question de ce qu’elle fait de ses audaces. Et il faut admettre que de ce point de vue, La Chronique des Bridgerton touche vite à ses limites.
Une scène de l’épisode six met en scène le Duc et Daphné en pleins ébats. Elle veut un enfant, lui non. Depuis plusieurs épisodes, nous savons pourquoi. Alors que les autres soirs, le Duc s’arrangeait pour se retirer discrètement au moment de l’éjaculation, cette fois-ci, sa partenaire le refuse. Elle se place sur lui et le fait jouir sans qu’il n’ait réellement le temps de réagir. Puis elle s’en va et conserve le sperme en elle. Dans le livre de Julia Quinn, nous assistions clairement à une scène de viol conjugal, le Duc étant ce soir-là en état d’ébriété. Ici, ce n’est pas le cas, car la pénétration est clairement consentie. Mais une sensation de malaise demeure, Daphné ayant manipulé le moment sexuel à ses fins.
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Une audace de surface ?
Dans la plus belle série de l’année, I May Destroy You, l’héroïne se rendait compte qu’elle avait été agressée alors que son partenaire avait retiré son préservatif pendant l’acte sans le lui dire. La scène était brillante et des suites narratives puissantes étaient données à ces quelques secondes presque anodines en apparence. Dans La Chronique des Bridgerton, c’est comme si le moment ambigu entre le Duc et Daphné devait à la fois exister et disparaître : il est certes filmé mais il n’en reste ensuite quasiment plus rien, personne n’en parle, comme s’il fallait reculer devant la violence potentielle qui se déploie.
Nous sommes bien sûr dans un soap (avec ses anachronismes proches du Marie-Antoinette de Sofia Coppola, quand des tubes contemporains sont joués par des orchestres à cordes) au ton léger, aux dialogues savoureux et aux intrigues volontairement grossières. Mais la série aurait gagné à prendre davantage son temps pour creuser ses propres abîmes. Elle aurait semblé tout aussi joueuse et moins superficielle.
La saison 1 de La Chronique des Bridgerton est actuellement disponible sur Netflix.
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