Avec “The Chi”, l’actrice de “Master of None” plonge dans les quartiers sud de Chicago et dessine une mosaïque poignante de destins individuels à forte teneur autobiographique. (Spoilers)
Cet article contient des révélations sur la série The Chi.
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On avait découvert Lena Waithe en amie d’enfance d’Aziz Ansari dans Master of None. D’une franchise à toute épreuve, elle opposait sa coolitude nonchalante au débit mitraillette de son partenaire, et révélait une belle profondeur dramatique dans un épisode retraçant le difficile coming out familial du personnage. Au moment où Ansari recevait le Golden Globe du meilleur acteur de série, Showtime diffusait le pilote de The Chi, première création de Waithe. Et point de concurrence entre les collègues, la chaîne a réalisé une belle audience, à la hauteur des qualités du projet.
Il était une fois à Southside Chicago
Comme son nom l’indique, la série plonge dans les entrailles de Chicago, plus particulièrement dans le quartier sud de Chatham, à population majoritairement afro-américaine. Largement autobiographique, elle fait des souvenirs de sa créatrice la matière première d’une mosaïque de destins individuels, qu’un événement brutal viendra entrechoquer. En visant un public large avec un casting entièrement noir, The Chi s’inscrit, à l’instar d’Insecure, de She’s Gotta Have it ou de Luke Cage, dans une dynamique extrêmement féconde pour la représentation des minorités à l’écran.
Quelques scènes suffisent à brosser une galerie de personnages attachants, animés chacun d’enjeux et tracas à leur échelle. Le taiseux Ronnie doit faire face aux conséquences de ses actes criminels quand le petit Kevin découvre les premières amours adolescentes, le sérieux Brandon rêve d’ouvrir son restaurant pendant que l’irresponsable Emmet se retrouve avec un enfant sur les bras.
Si la série s’avance d’abord, à l’instar de sa co-citadine Easy, comme un Mumblecore (mouvance indé un peu fauchée s’attachant aux questionnements sentimentaux et existentiels de citadins trentenaires), elle déploie peu à peu ses ramifications narratives en un subtil mélange des genres qui brouille nos attentes narratives calibrées. D’une séquence à l’autre, le drama teen se heurte au thriller et la romance vire à la scène de ménage, un interrogatoire de police prend des airs d’incubateur de punchlines et le silence d’une nuit paisible est rompu par un coup de feu.
Fiction noire = fiction politique ?
On pourra néanmoins regretter que la série se focalise uniquement sur des protagonistes masculins, reléguant les femmes au second plan. Un geste que sa créatrice justifie maladroitement dans une interview au Chicago magazine : “Les hommes noirs sont tellement déshumanisé que leurs morts sont réduites à du bruit de fond.” Le mouvement #SayHerName nous rappellera que les morts tragiques sous les coups de la police ou que des règlements de comptes sont également légion chez les femmes noires…
Si le pilote décline les thèmes classiques liés à la réalité sociale des quartiers défavorisés, et prend le pouls d’une population avec une belle acuité documentaire, la narration se concentre rapidement sur les conséquences de deux meurtres, revêtant des atours plus ouvertement fictionnels. La mise en scène prend des libertés avec le réel, reconfigurant la ville en décor cinématographique (les spectateurs locaux ont pointé de nombreuses incohérences géographiques) et délaissant peu à peu les pistes politiques, au grand dam de certains critiques.
Lena Waithe prend effectivement le partie d’une coming of age story déployée sur plusieurs destinées individuelles, comme autant d’âges de la vie, re-configurant ses souvenirs en un geste choral pleinement fictionnel qui dessine en creux un personnage-somme. Plus que par un ancrage dans le réel, son geste politique se niche là, en creux : faire d’un quartier défavorisé un écrin visuel comme un autre, et d’une fiction entièrement noire un geste narratif universel.
https://youtu.be/8Qnzkrhmp50
The Chi, depuis le 7 janvier sur Showtime.
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