Délaissée par sa créatrice Phoebe Waller-Bridge, cette deuxième saison amenuise la profondeur et la subtilité qui illuminaient la première. Reste deux actrices talentueuses à qui on ne peut échapper.
Il y a un an exactement, Killing Eve crevait l’écran pour au moins deux raisons. D’abord, le nom de sa scénariste principale, Phoebe Waller-Bridge, responsable de l’une des plus belles trouées sérielles des années 2010 avec Fleabag, une comédie profonde sur la vie d’une trentenaire étrangère à l’amour et bouffée par la culpabilité. Un bijou absolu, inoubliable et rêche.
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L’autre raison de notre enthousiasme tenait à l’histoire racontée, une classique aventure d’espionnage et de femme psychopathe rendue plus intense et originale par son duo central. Eve Palestri, une enquêtrice du MI5 (Sandra Oh) et Villanelle, une tueuse à gages (Jodie Comer), jouaient à la chatte et à la souris dans toute l’Europe, avant de se retrouver nez à nez dans un lit. Nous les avions donc laissées là, alors que la première, étonnée par sa propre audace, poignardait la seconde dans une scène finale mémorable.
Pour entrer dans la nouvelle saison de la série, une obligation s’impose : faire le deuil de l’une des deux composantes de notre amour. Sollicitée de toutes parts et occupée à écrire la suite magnifique de Fleabag – qui vient de se terminer en Angleterre avant d’arriver en France sur Amazon Prime Video au mois de mai –, Phoebe Waller-Bridge n’a participé que de très loin à ces nouveaux épisodes, même si elle reste créditée en tant que productrice.
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C’est Emerald Fennell qui a assumé le rôle difficile de showrunneuse. Connue dans son pays comme auteure de livres pour enfants, puis comédienne dans l’intéressante Call the Midwife, cette jeune femme apparaîtra aussi cette année dans la troisième saison attendue de The Crown, où elle joue Camilla Parker Bowles jeune. Amie de Waller-Bridge, Fennell a donc repris l’écriture de Killing Eve avec sa bénédiction.
Une réflexion fascinante sur la violence féminine
De l’une à l’autre, quelque chose s’est pourtant perdu. Non que la série soit devenue subitement nulle ou méconnaissable – l’action commence quelques minutes après la fin de la première saison et les personnages demeurent –, mais une forme d’humanité tordue semble évaporée dans les premiers épisodes, remplacée par une mécanique certes brillante mais moins attachante. Le sentiment n’est pas simple à exprimer : ce que nous voyons a la couleur de Killing Eve, sans en avoir forcément le goût.
Par la force de dialogues obliques et d’une grande férocité, la version Phoebe Waller-Bridge savait sans cesse dépasser ce qu’elle mettait en scène (la traque mutuelle de deux femmes) pour se transformer en réflexion souvent fascinante sur la violence féminine, l’ambiguïté et le trouble d’une relation impossible. Pour un peu, on en oublierait que nous sommes devant ce qui fut une sensation féministe et l’un des plaisirs les plus vifs que nous aient donné les séries ces dernières années.
Des reflexes attendus
Killing Eve était exceptionnelle, la voilà maintenant à un niveau toujours élevé mais plus banal, où le genre (un policier mâtiné d’espionnage) fait office de boussole parfois convenue. C’est presque invisible à l’œil nu, mais bien réel. Villanelle ressemble maintenant davantage à une tueuse mécanique, aux réflexes attendus, qu’à la créature débordante de folie et malaisante qu’avait sculptée la première saison. Ses actions les plus immorales, comme le meurtre qu’elle commet dans le premier épisode, ressemblent à de cruelles provocations moins intéressantes.
Les actrices continuent à habiter chaque plan comme si leurs vies en dépendaient
Alors, pourquoi continuer à regarder ? D’abord parce que nous sommes au-dessus du tout-venant. Ensuite pour les actrices, qui n’ont pas du tout envie que Killing Eve devienne la caricature d’elle-même et qui continuent à habiter chaque plan comme si leurs vies en dépendaient. Sandra Oh accompagne de manière plus impressionnante que jamais la transformation de son personnage.
Eve devient une femme qui laisse ses désirs la submerger et le plaisir palpable qu’y prend l’ex de Grey’s Anatomy suffit à notre bonheur. Quant à Jodie Comer, malgré l’orientation moins ébouriffante de Villanelle, elle lui offre une énergie sale gosse digne du Hollywood classique qui la rend encore saisissante par moments. Espérons tout de même que la deuxième partie de la saison retrouve du souffle. La fin de l’épisode 4, qui introduit une nouvelle tête féminine prête à déranger le duo, laisse cet espoir vivant.
Killing Eve de Phoebe Waller-Bridge, écrite par Emerald Fennell, avec Sandra Oh, Jodie Comer. Saison 2 sur Canal + Séries et MyCanal
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