Que vaut “Jupiter’s Legacy”, la nouvelle série super-héroïque de Netflix tirée du comics de Mark Millar ?
Attention, cet article comporte des révélations sur l’intrigue de Jupiter’s Legacy.
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Drôle d’objet que Jupiter’s Legacy, adaptation de la série de comics initiée en 2013 par Mark Millar et Frank Quitely, dont la transposition vers le petit écran a été confiée à Steven S. DeKnight, ex-showrunner de Spartacus et Marvel’s Daredevil et réalisateur du mal aimé Pacific Rim : Uprising. Soit une énième déclinaison de l’héroïsme en crise, dont les costumes moulants semblent avoir été chinés en super-fripe et les effets visuels déterrés de la corbeille à rushs d’un blockbuster paresseux.
Les héros sont dépassés
Dans une version alternative de notre réalité, le monde est protégé par l’Union, un groupe de superhéros créé dans les années 30 dont les agissements sont dictés par un code de conduite en apparence immuable : mettre les vilains sous les verrous sans les tuer, et inspirer le peuple en se gardant de l’influencer, notamment en évitant de se mêler aux affaires politiques. “Préserver coûte que coûte le libre arbitre”, ou une façon commode d’expliquer pourquoi l’Holocauste, la bombe atomique, la Guerre froide et les génocides contemporains ont quand-même eu lieu dans l’ombre des héros.
A la tête de l’Union, Sheldon et Grace Sampson, AKA The Utopian et Lady Liberty, ont du mal à composer avec leur progéniture : Brandon, grand dadais excessivement musclé prêt à tout pour se montrer digne de son héritage, et Chloé, influenceuse destroy en rébellion contre ses parents. Précisons que les pouvoirs, dans Jupiter’s Legacy, se transmettent de façon héréditaire, et que les autres membres de l’Union ne sont pas en reste en termes de famille dysfonctionnelle et de fossé intergénérationnel.
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Une série en apparence inoffensive
Un super-vilain cloné d’origine mystérieuse donne du fil à retordre à tout ce beau monde, mais ce n’est pas vraiment ce qui intéresse les scénaristes, plus enclins à creuser les origines, la psychologie et les rapports entre les personnages que l’intrigue qui les lie. Souffrant d’une mise en scène générique et d’effets spéciaux un peu cheap, les épisodes tergiversent, ne cessent de souligner les conflits qui étreignent leurs figures ou de verbaliser ostensiblement le sous-texte politique qui leur est assigné.
Alors on se dit qu’on est tombé sur une série inoffensive, récréative mais sans âme, comme Netflix peut en débiter à la pelle ; on arme sa critique mitigée, quelques piques bien senties, mais pas trop aiguisées, après tout ça n’en vaut pas la peine ; et puis on se rend compte que les épisodes ont un goût de reviens-y, un petit quelque chose qui nous gratte on ne sait où, et on avale les huit, comme ça, sans s’en rendre compte. Damn ! Les super-boomers auraient-ils quelque chose à nous dire ?
Quelque chose se dessine en effet entre les battements de capes et les décharges d’énergie, qui aurait trait à la pertinence d’un code de conduite vieillissant face à de nouvelles menaces, moins identifiables, plus violentes. Le décalage éprouvé par l’ancienne garde se heurte à la perte de sens qui ronge la nouvelle, avec en sous-texte la rengaine droitière et éculée de l’ensauvagement de la société et d’un monde qui aurait changé, type “les gangsters d’avant avaient un code d’honneur, les jeunes ne respectent plus rien”, ou “faut-il muscler les modes de répression quand la criminalité augmente ?”.
Questionner les origines du genre
Tout cela reste trop survolé pour véritablement nous agacer, mais on comprend vite que la série ne regarde pas le présent mais le passé, ou alors le contemporain à travers le terreau originel dans lequel ont germé les superhéros. Celui-ci est double : d’abord mythologique (avec un titre pareil, on pouvait s’y attendre) : comme Zack Snyder ne cesse de nous le rappeler, les super incarnent une forme de persistance des divinités antiques et polythéistes dans notre imaginaire collectif, dont ils réactualisent l’essence et l’esprit. Ici, la rivalité entre Zeus/Jupiter et Poséidon/Mercure, la trahison d’Hadès/Pluton, la coexistence houleuse avec les mortels…
Mais aussi historique, en ce que la série, notamment à travers son arc narratif consacré à l’origin story des héros dans les années 30, ne cesse de tisser des liens avec le premier âge d’or des comics, qui s’est épanoui dans l’entre-deux Guerres et le sillage de la Grande Dépression. Avec une générosité narrative qui confine à la naïveté, les épisodes nous entraînent dans le sillage de golden boys désargentés mus par d’étranges visions, et revisitent allègrement tous les sous-genres narratifs alors en vogue, de l’errance du hobo à l’aventure maritime en passant par l’exploration d’un île mystérieuse. Et l’on distingue, entre les lignes du krach boursier de 1929, la crise économique de 2008, en réaction de laquelle Marc Millar aurait justement initié sa série.
On comprend alors que les premiers super-héros, ceux de l’Union et, par métonymie, de tous les comics, sont les enfants, réels ou symboliques, légitimes ou bâtards, des magnats capitalistes ! Mais plus que la personnification d’une réponse américaine à la crise, tête haute et torse bombé, ils incarneraient la mauvaise conscience d’un pays en crise, tristes zélotes au dos voûté, résolus à faire le bien pour réparer le mal causé par les pères. Les super-héros ne brandissent plus les idéaux d’une société triomphante, mais prennent à bras-le-corps sa culpabilité refoulée.
Jupiter’s Legacy, de Steven S. DeKnight, avec Josh Duhamel, Leslie Bibb, Elena Kampouris… Sur Netflix.
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