Créée par la cinéaste, qui y campe l’un des rôles principaux, cette nouveauté française pose son décor dans un Los Angeles pré-pandémique, où quatre amies traversent la crise de la quarantaine ensemble, chacune à sa façon. Rencontre avec deux des piliers de ce projet, croisés au festival Séries Mania en 2021.
À la fois très agitée et très structurée, On the Verge raconte les délices et les angoisses de quatre femmes, âgée chacune de plus de 40 ans, en pleine crise, à Los Angeles. Une comédie vacharde qui prend le temps d’explorer les faiblesses émouvantes d’une petite bande assez inédite dans le paysage français. Peut-être parce que la série, produite entre la France et les États-Unis, puise comme sa créatrice, dans les deux cultures. Nous avons demandé à Julie Delpy et son complice Mathieu Demy (acteur et co-réalisateur du show) de parler travail, sitcoms et Californie…
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Julie Delpy, comment avez-vous développé l’idée de On the Verge, votre première série ?
Julie Delpy – Je l’ai écrite un peu comme j’écris mes films, en réfléchissant d’abord aux personnages et à un lieu. Les histoires, les aventures, les interactions et les conflits sont arrivés après, comme on déroule un fil. J’ai conçu On the Verge comme un film de douze épisodes. L’impulsion de départ était ce désir d’explorer mes personnages au-delà d’1 h 30 comme j’en ai l’habitude.
Le format film me semblait peu approprié pour raconter ces quatre femmes, avec leurs relations, leurs maris, leurs enfants, qu’elles ont eus sur le tard. Elles sont passées d’une liberté totale à une vie bien pleine. Pour montrer tout ça, il fallait une série. J’avais une envie de groupe. J’aime beaucoup filmer les groupes, je l’avais fait sur mon film Skylab sur un moment très restreint. J’adore les scènes qui débordent de gens, les dîners, les fêtes. J’ai voulu avoir l’occasion de filmer ces situations longuement.
Comment vous êtes-vous adaptée au format de la série, qui nécessite une écriture différente de celle du cinéma ?
J’ai construit les arcs narratifs des quatre personnages principaux en imaginant dès le départ plusieurs saisons. Ell (Alexia Landeau) se faisait déjà larguer alors qu’elle tournait un reality show, Anne (Elisabeth Shue) galérait avec son mec et sa mère, mon personnage, la cheffe, avait des soucis avec son mec tout en bossant comme une dingo, et Yasmin (Sarah Jones) était déjà celle qui a foutu en l’air sa carrière et tente de repartir, mais toujours dans de mauvaises directions…
J’ai bossé ! D’ailleurs, douze épisodes, c’était un peu trop. S’il y a une deuxième saison, j’en ferai plutôt neuf. C’est vrai que je ne me suis pas rendu compte tout de suite de l’ampleur de la tâche qui m’attendait. Et comme j’aime le travail bien fait…
>> À lire aussi : On a vu “On the Verge”, la série réalisée par Julie Delpy
Vous aviez des références ?
Les séries que j’admire, comme Curb Your Enthusiasm, restent assez simples dans la manière de filmer, mais l’écriture est extrêmement travaillée. Je ne voulais surtout pas emmerder les gens qui regardent On the Verge, sinon quel intérêt ? J’avais envie de faire une série qui me plaît. Si je n’étais pas dedans, j’aimerais la regarder parce que ça me fait rire, qu’il y a plein de moments embarrassants et que les personnages sont complexes.
Vous désirez depuis longtemps créer une série ?
Depuis dix ans, oui. J’ai commencé à y réfléchir en 2012. En réalité, j’ai toujours un peu travaillé en série, même dans mes films. Après Two Days in Paris (2007) et Two Days in New York (2012), j’ai failli lancer un troisième volet. J’ai aussi tendance à raconter des histoires qui se poursuivent et se répondent. Comme si toute ma vie créative produisait une seule fiction. Ça fait un gros paquet de “vie Julie Delpy” (rires).
Mathieu Demy, vous jouez le personnage du mari dans On the Verge et réalisez plusieurs épisodes. Comment êtes-vous arrivé sur le projet ? Déjà en voisin, à Los Angeles…
Mathieu Demy – Julie et moi nous sommes retrouvé·es et lié·es d’amitié quand je me suis installé à Los Angeles. Je venais d’être engagé sur Le Bureau des légendes, la série était en train de devenir mon activité principale de réalisateur et comédien (Mathieu Demy tient également le premier rôle masculin de Mytho, dont la saison 2 débute en octobre sur Arte, NDLR). Ce n’est pas parce que c’est à la mode que nous sommes venu·es aux séries. Au-delà du Covid, le cinéma, surtout indépendant, est en souffrance depuis des années. C’est de plus en plus difficile de pitcher un film sans qu’on nous dise : “Ce n’est pas une série ?”
Les séries ont la cote pour plein de raisons et on ne va pas s’en plaindre. Objectivement, cela a donné un coup de créativité incroyable à la fiction mondiale, là où le cinéma passait beaucoup de temps à s’autosampler.
Julie Delpy – J’aime quand même le cinéma et j’ai des projets de films…
Mathieu Demy – Moi aussi, j’adore, bien sûr !
Julie Delpy – Mais c’est vrai que je regarde beaucoup de séries et qu’il est devenu naturel pour moi d’en faire une.
Mathieu Demy – Surtout pour raconter quatre femmes et l’histoire d’une famille comme dans On the Verge. C’est le médium idéal.
Pour mettre sur le devant de la scène des personnages féminins de plus de 40 ans, y a-t-il vraiment d’autres choix ?
Julie Delpy – Peu de films le permettent. La “middle-aged woman” (femme d’un certain âge, NDLR) ne vient pas vraiment à l’idée des studios américains. Ils ne sautent pas de joie à l’idée de consacrer de l’argent à des femmes de 45 ou 50 ans, même si cela pourrait changer.
La série est tournée à Los Angeles, avec des producteurs français, diffusée sur Canal+ et acquise par Netflix. Ce dedans-dehors entre la France et l’Amérique vous va bien.
Julie Delpy – La dualité me parle, c’est vrai. Elle permet une vraie liberté entre deux cultures et deux pays.
Mathieu Demy – Julie a écrit avec Alexia Landeau, et je suis arrivé au moment où tout était en place. J’ai découvert une manière de faire marquée par la culture américaine des séries, comme les “tone meetings”, des réunions ultra précises sur le ton des scènes, la forme et le fond, entre réalisateur et showrunner.
Julie Delpy – J’étais là pour garder une unité de ton, y compris au montage ou sur la musique. C’est le rôle du showrunner !
Mathieu Demy – La manière dont est séquencé le travail est très agréable, car tout le processus est tendu vers l’efficacité. Même si cela veut dire que sur les épisodes que j’ai réalisés, je n’avais que deux jours pour le montage, j’y ai trouvé mon compte. On fait partie d’une machine hyper efficace. C’était mon premier tournage “hollywoodien”, et cela m’a passionné. La position de Julie entre l’Amérique et la France lui a aussi permis de garder une certaine distance par rapport à tout cela.
Dans le récit, on note également une influence américaine, par exemple cette envie d’intrigues bouclées à chaque épisode en plus d’une grande histoire. Les sitcoms le font tout le temps.
Julie Delpy – J’adore le genre de la sitcom depuis Seinfeld, que je peux regarder 100 fois de suite. Je trouve dans l’humour de sitcom mais aussi de stand-up une fraîcheur proche de ce que je cherche, à la différence de certaines comédies à la française un peu artistes. Mais cela existait aussi dans les comédies américaines d’avant les sitcoms.
Los Angeles se trouve au centre de la série. Une ville que vous connaissez tous les deux parfaitement, montrée de façon originale.
Mathieu Demy – Julie, tu as passé plus de temps dans ta vie à Los Angeles qu’à Paris.
Julie Delpy – C’est vrai. C’est ma ville, même si c’est bizarre de dire ça. Elle m’agace et je l’adore. J’aime beaucoup la lumière et la végétation. J’ai été élevée dans un trou du XVe sans lumière au rez-de-chaussée, je ne savais pas ce qu’était le soleil. J’étais comme une endive, un champignon de Paris. Tout à coup, je suis arrivée à Los Angeles, et c’était impossible pour moi d’en repartir. Dans la série, je voulais capter l’univers magnifique et horrible de cette ville où on peut être très seul·e. Mais j’aime beaucoup la solitude, qui est faite pour moi.
>> À lire aussi : Les 9 séries les plus attendues de septembre
Mathieu Demy – J’ai été enfant à Los Angeles (Demy a joué dans Documenteur, le film de sa mère Agnès Varda, tourné en 1980, NDLR), j’y ai aussi tourné mon premier film Americano. Je m’y suis installé durant quelques années. Plastiquement, cette ville est formidable parce qu’elle est basse. Il y a toujours un horizon, des perspectives incroyables. Le climat est fou et rend heureux. C’est une ville spéciale mais clivante. Les Français qui ont découvert Los Angeles après New York peuvent être déstabilisés, mais pour moi c’est une Madeleine de Proust. J’ai une image enfantine de la ville. Et dans la série, elle devient un personnage.
Mathieu, certains films d’Agnès Varda viennent d’être mis en ligne sur Netflix. Quelle bonne nouvelle.
Mathieu Demy – C’est génial. Ma sœur, Rosalie Varda, mène ce combat au quotidien avec notre boîte Ciné-Tamaris, qui s’occupe des films de nos parents. On prend les décisions ensemble et on essaie de garder une ligne. Aujourd’hui, c’est une chance incroyable de pouvoir compter Netflix comme partenaire, car ils sont incontournables.
On the Verge, saison 1. À voir sur MyCanal.
{"type":"Banniere-Basse"}