Dans la nouvelle série du créateur de Mr. Robot, l’actrice américaine joue un personnage à multiples facettes au sein d’un univers fortement inspiré par Hitchcock ou De Palma.
Il y a vingt-huit ans, dans Pretty Woman, la grande veine au front de Julia Roberts éclatait à la face du monde en même temps que son rire brutal, et quelque chose de l’éternel classicisme du cinéma américain était sauvé. Le charme et l’aisance des inoubliables héroïnes de comédie – allô, Katharine Hepburn – reprenaient vie à travers ses gestes assurés et burlesques, son sens du timing impeccable, sa profondeur légère mais immédiate.
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Comme on travaille des muscles qui font du bien, la comédienne a cultivé ce don dans les meilleures rom coms, notamment Le Mariage de mon meilleur ami (1997) et Coup de foudre à Notting Hill (1999). JR a aussi navigué dans des eaux plus auteuristes, chez Steven Soderbergh, qui a signé avec elle l’un de ses meilleurs films, où elle incarnait une pasionaria en lutte contre les pollueurs, aka Erin Brockovich (2000).
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Pourtant, un autre visage a toujours existé derrière la lumière, une carrière parallèle fondée sur l’inquiétude, de L’Affaire Pélican (1993) à Mary Reilly (1996) en passant par Closer de Mike Nichols (2004) : des films plus durs et paradoxalement moins aimés, qui ne correspondaient pas à nos projections.
La star dans un double rôle perruqué et angoissé
C’est cette lignée que Julia Roberts choisit de perpétuer et de faire grandir avec Homecoming, son projet le plus intéressant depuis plus de dix ans, ce qui en dit long sur l’état du cinéma américain. En dix épisodes d’une trentaine de minutes, la série raconte les zones d’ombre d’un programme mené par une entreprise privée qui accueille des soldats rentrant de la ligne de front.
En apparence, il s’agit de les aider à surmonter leurs traumatismes, mais en réalité, un projet mortifère se trame sous la surface. Située entre deux temporalités – le présent et un passé proche –, la série accueille la star dans un double rôle perruqué et angoissé : femme de main manipulée par ses patrons dans l’entreprise en question, serveuse dans le temps présent, alors qu’elle ne se souvient plus de rien et habite désormais chez sa mère en Floride.
“Ce qui m’a attirée, ce sont vraiment les deux Heidi, a expliqué Julia Roberts à Londres, où nous avons pu la rencontrer, plus pimpante que jamais. C’était vraiment fascinant. Ce personnage m’a demandé une forme d’élasticité, car son programme change constamment. Elle n’a pas un désir unique – faire le bien ou le mal. Je devais rester flexible, ne pas lui inventer une détermination immuable. Il m’a fallu beaucoup réfléchir à ce que voulait cette femme.”
Homecoming est adaptée du podcast éponyme créé par Eli Horowitz et Micah Bloomberg – crédités ici en tant que scénaristes –, tandis que la réalisation de l’intégralité de la première saison a été confiée à Sam Esmail (créateur de l’inégale mais passionnante Mr. Robot), qui trouve ici un terrain de jeu à la hauteur de ses envies stylistiques toujours référencées.
Une manière de jouer en mode sépia seventies
“Ce qui était spécial avec ce podcast, raconte Esmail, c’est qu’il était écrit et joué par des acteurs, comme une pièce radiophonique, alors qu’on a l’habitude avec ce médium d’écouter des tranches de vie réelles. J’ai tout de suite aimé le ton, un genre de thriller old school centré sur les personnages et non pas sur l’action.”
L’adaptation a d’abord consisté à mettre en images un univers strictement sonore. Une manière de jouer avec les genres que le réalisateur amorce en mode sépia seventies. Jamais avare d’une fuite en avant formelle, Esmail joue avec la durée des scènes et le format de l’image, qui devient carré dans les séquences situées au présent – à moins que ce ne soit un futur proche, car tout reste indéterminé et volontairement déstabilisant.
“Visuellement, l’idée était de revenir aux vieux maîtres, Hitchcock, De Palma, et Pakula avec qui Julia a eu la chance de travailler sur L’Affaire Pélican, raconte le réalisateur. Le langage était déjà là.”
A l’aise avec l’idée que la création contemporaine peut se déployer comme un palimpseste, Sam Esmail frôle sans cesse l’épuisement – des spectateur.trice.s et de lui-même – et la glaciation. Un danger dont il se sauve la plupart du temps (mais pas toujours) grâce à un habile sens du récit et des moments de bascule.
Sissy Spacek, l’héroïne de Carrie, joue la mère de Julia Roberts
Homecoming monte en puissance, traversée par une atmosphère paranoïaque que l’intéressé a installée sur le plateau en jouant notamment la musique de Klute – l’un des meilleurs films d’Alan J. Pakula, avec Jane Fonda en quête d’un meurtrier insaisissable – pendant certaines prises.
“Pour moi, les hommages sont naturels quand il s’agit d’évoquer un moment du cinéma qui m’a obsédé. Comme De Palma constitue une inspiration, j’ai employé plusieurs musiques originales de Pino Donaggio, son compositeur historique. J’ai utilisé un morceau de Carrie dans l’un des épisodes.”
Sam Esmail a même fait appel à Sissy Spacek, l’héroïne de Carrie, pour jouer la mère de Julia Roberts. “Je connais Sissy depuis que j’ai 13 ans, explique l’actrice. J’ai été très impressionnée de jouer à ses côtés, c’était comme si le pays de Sam et le mien se rencontraient, à travers une passion commune.”
Une obsession pour les personnages bipolaires
Tendue et malaisante, Homecoming fait le pari d’explorer quelque chose d’une insécurité contemporaine et de ses conséquences sur les corps et les cerveaux, constamment malmenés – comme c’était déjà le cas dans Mr. Robot, au personnage principal bipolaire.
Curieusement, Esmail botte en touche quand on lui pose la question de son obsession : “Je ne sais pas pourquoi j’aime les personnages parano, j’essaie de le comprendre moi-même. Avec les nouvelles technologies, nous avons toutes et tous l’impression d’être observé.e.s.” On n’en saura pas plus. On devinera même que cette création poisseuse et rêche est née dans une forme de joie partagée, comme une oasis d’insouciance.
“Le ton un peu dérangeant de la série est né dans la joie, dans la collaboration collective, ensemble on a eu l’impression d’être des génies du mal !, confirme Julia Roberts. Quand Sam m’a appelée, quelque chose a ‘cliqué’. On a l’air de personnes différentes, mais en réalité nous sommes un peu les mêmes, sauf que mes cheveux sont plus longs. Instantanément, nous étions comme des amis de vingt ans. Et il a semblé évident que nous monterions ce projet pour la télévision, même si je n’ai pas eu complètement l’impression de faire de la télé.”
Alors qu’elle a rejoint la cohorte des stars du grand écran passées de l’autre côté, Julia Roberts serait-elle en train de nous faire le coup du mépris de classe pour une forme qui l’accueille pourtant à bras ouverts, bien plus que le cinéma ? “Ne vous trompez pas, j’aime beaucoup les séries, même si je n’en regarde pas beaucoup car j’ai peu de temps disponible. J’ai adoré Fleabag et Peaky Blinders, par exemple. »
Pour Sam Esmail, “on ne dirige pas Julia Roberts »
« Ce que je veux dire, c’est que Sam, en plus de tourner tous les épisodes lui-même, a fait l’effort de diriger le plateau comme sur un film, en prenant son temps. La télé n’est pas faite pour les personnes fragiles, ça c’est sûr. La somme de travail était énorme, même si tout restait fluide. Le problème, c’est que tout ça m’a laissé beaucoup moins de temps que d’habitude pour faire la cuisine et les lessives (rires). »
« Au lieu de préparer à dîner quand mes enfants étaient concentrés sur leurs devoirs, je faisais mes propres devoirs. Et ça continuait après le repas ! C’était une sorte de travail en continu, 24 heures sur 24. Mon mari ne m’avait jamais vu bosser autant de ma vie.”
La suite est déjà en marche. Amazon a d’emblée commandé deux autres saisons de Homecoming. De quoi explorer la nouvelle direction prise par Julia Roberts, désormais quinquagénaire, qu’on n’aura jamais vue aussi longtemps dans le même rôle. Sam Esmail n’a certainement pas encore fait le tour de la question.
“On ne dirige pas Julia Roberts, on essaie plutôt de lui laisser un espace, et autant que possible de ne pas gâcher sa liberté. Inutile de lui dire quoi faire car il n’y a pas une prise où elle ne sera pas juste. Quand on commence à ce niveau, cela devient une question de modulation, ce qui me paraît très excitant. Sur le plateau, on discute de toutes les nuances possibles. Que demander de plus à une actrice ?”
Homecoming saison 1 Disponible sur Amazon Prime le 2 novembre
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