Très réussie, la seconde saison de « Jessica Jones » choisit de remonter aux origines du mal tout en poursuivant le travail de résilience opéré par sa fascinante héroïne. (Spoilers)
Cet article contient des révélations sur la série Jessica Jones.
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Deux ans et demi après une première saison enthousiasmante, la détective privée dépressive aux pouvoirs très particuliers, fraîchement libérée de la réunion indigeste de The Defenders, remet le pied à l’étrier pour une nouvelle aventure. Et si les Daredevil et autres Luke Cage sont loin, on aurait tort de parler d’une virée en solitaire tant les personnages secondaires y gagnent en brillance.
Comment guérir ?
Si la menace représentée par Killgrave a été physiquement écartée à la fin de la saison précédente, le traumatisme infligé par le psychopathe manipulateur est toujours prégnant, rongeant insidieusement l’équilibre précaire d’une existence en quête de normalité. Inadaptée au réel, incapable de contenir sa rage (une séquence d’anger management thérapeutique électrise le troisième épisode) comme d’assumer ses pouvoirs, Jessica se lance à contrecœur dans une quête des origines, avec l’aide de sa sœur adoptive Trish. Ce type d’arc narratif, incontournable pour les récits super-héroïques, comporte sa dose d’attendus et de poncifs que Jessica Jones n’évite pas, de la perte tragique de la famille aux expériences médico-scientifiques secrètes.
Mais les vestiges exhumés comptent moins que le geste même de creuser : creuser pour comprendre, comprendre pour pouvoir commencer à guérir. Saisissante est la manière dont le thème de la résilience infuse chaque recoin de la série, parfois avec une noirceur vertigineuse. Au-delà du pouvoir envisagé comme fardeau (“With great power comes great mental illness”) et de leur porteuse considérée comme une freak, tout y est affaire de réparation. Trish tente de renouer avec sa mère tyrannique pour exorciser son enfance abusée, le nouveau voisin de Jessica essaie de reconstruire sa vie à sa sortie de prison, quand l’implacable avocate Jeri Hogarth affronte une maladie dégénérative.
Un monde plus vaste
Jessica Jones fait partie de ces œuvres dans lesquelles le récit éclaire les personnages, pas de celles où les personnages servent le récit. Caractéristique particulièrement saillante de ce nouvel arc, qui embrasse un mouvement éprouvé il y a quelque mois par une autre saison 2 miraculeuse, celle de Stranger Things. Débarrassés des contingences introductives et de la loi du mystère, les showrunners peuvent approfondir leurs personnages et élargir les contours de leur monde. En apprivoisant le rythme distendu de la forme sérielle et en jouant de la dialectique entre le familier et la nouveauté, leurs œuvres fonctionnent moins sur la séduction mais déploient plus de générosité.
Un temps et une générosité bien nécessaires à Jessica, qui se bat pour gérer toutes les strates de sa vie (personnelle, professionnelle, héroïque) et décoder le puzzle d’un monde aux reflets trompeurs (au-delà de sa quête de vérité, la saison est un vaste jeu de masques). Cette générosité est présente également dans la multiplicité des registres convoqués. A l’enquête policière de Trish et Jessica (formidable duo) s’ajoute le drame personnel de Jeri, des germes de comédie romantique trouvent leur chemin entre les décharges héroïques et l’humour, parfois noir mais jamais désinvolte, dialogue avec une histoire très actuelle de harcèlement sexuel.
Une grande série féministe
Au-delà de cette réussite en terme de personnages, Jessica Jones conforte son statut de grande série féministe sans avoir recours au moindre appareil démonstratif. Produits, écrits et réalisés par des femmes, ses épisodes offrent une vision de la sexualité à contre-courant des codes dominants.
De Jessica à Trish en passant par Jeri, la seule norme acceptée est celle d’un désir aux formes multiples, qu’elles assument et prennent en main et dont elles ne sont jamais objets, toujours sujets. Jessica ne porte aucune attention à son apparence physique, aime le sexe trash dans les toilettes des bars et peut choisir de coucher avec un inconnu qui lui fait une remarque désobligeante tout en restant maitresse de sa sexualité.
L’un des sommets de la saison est une scène de partouze lesbienne organisée par Jeri avec des prostituées dans son appartement bourgeois, dans laquelle le corps de l’avocate cinquantenaire interprétée par Carrie Anne-Moss, filmé sans fard, jouit de toutes ses pores pour chasser l’angoisse de la maladie.
Ce geste salvateur dépasse le female gaze pour influer sur la répartition des rôles et les fonctions narratives des personnages : les hommes sont ici alliés farouches mais aussi maris inquiets ou secrétaires tyrannisés. Le traitement des personnages féminins rappelle quant à lui que le féminisme ne se réduit ni à la duplication des codes de la virilité masculine (Wonder Woman), ni à un code de conduite que les femmes devraient adopter, mais consiste en une liberté de comportement absolue. C’est aussi cette hauteur de vue qui fait de Jessica Jones, plus que la meilleure série super-héroïque du moment, une fabuleuse série tout court.
https://youtu.be/hSvnepZS26s
Jessica Jones saison 2, disponible sur Netflix.
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