Un docu-série qui balaye à nouveau cette affaire glauque mêlant hommes puissants et pédocriminalité.
En juillet 2019, après avoir échappé à la justice américaine pendant de longues années, l’homme d’affaires Jeffrey Epstein est arrêté pour trafic sexuel sur mineures dont il a tiré une richesse considérable. Un mois d’emprisonnement plus tard, le 10 août 2019, l’administration du centre pénitentiaire de Manhattan annonce qu’Epstein s’est suicidé par pendaison dans sa cellule.
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La réalisatrice Lisa Bryant et le documentariste Joe Berlinger suivent l’affaire de près et décident, avec le soutien de Netflix et le livre Filthy Rich de James Patterson publié en 2016 recensant les témoignages des victimes, de lever le voile sur cette histoire sordide dans une série documentaire de quatre épisodes.
Le système judiciaire américain dans le viseur
Le récit s’ouvre sur le témoignage de deux sœurs, à l’époque mineures, qui après avoir été agressées sexuellement par Jeffrey Epstein et sa femme Ghislaine Maxwell en 1996, portent plainte auprès de la police new-yorkaise et du F.B.I, sans succès. Bien que les rumeurs et les allégations sur le comportement douteux d’Epstein se soient multipliées, ce n’est qu’en juillet 2019 qu’il est emprisonné pour ses crimes. Le documentaire suit l’affaire en nous faisant visiter les diverses et luxueuses propriétés privées à travers lesquelles le milliardaire éparpille les preuves aux quatre coins du globe : des Etats-Unis à Palm Beach en passant par le Nouveau Mexique jusqu’à sa fameuse île privée. Au fil des épisodes, on comprend comment Epstein – perçu comme « le Gatsby mystérieux de New York« , extrêmement riche, manipulateur et inaccessible – a monté, pendant 24 ans, un système pyramidal sexuel répugnant.
Entre l’exposition des failles d’un système corrompu qui protègent les plus puissants et les descriptions explicites d’abus sexuels (attention aux plus sensibles, la série est tout de même interdite aux moins de 16 ans), Jeffrey Epstein : Filthy Rich nous rappelle étroitement Making à Murderer ou encore The Keepers, à la seule différence : chez Epstein l’argent coule à flots.
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Des témoignages traumatisants étouffés par un manque de rythme
Dans la lignée du mouvement #MeToo, la série place les victimes au cœur du discours sur l’abus sexuel et donne la priorité à ces voix qui mettent à nu l’échec d’un système juridique défaillant. C’est grâce à cette écoute, à cet intérêt porté à l’individu que la série parvient à rester debout. L’espace de parole est largement pris en compte pour que les survivantes, nombreuses, puissent être entendues et écoutées. Malheureusement, le montage redondant, le rythme un peu plat et le storytelling sans épaisseur affaiblit cette parole puissante, celle de ces femmes qui partagent si courageusement leur traumatisme devant la caméra.
Le voile à moitié levé
Débarquée sur Netflix ce mercredi 27 mai, la série documentaire avait déjà, depuis l’annonce de son lancement, suscité beaucoup de réactions. Le résultat est bien en deçà des attentes. Car si l’affaire Epstein – rendu coupable de deux chefs d’accusations, sollicitation à la prostitution et proxénétisme de mineure – laisse inévitablement beaucoup de questions en suspens, la série reste au seuil de ces dernières, comme si elle s’était interdit de pousser l’enquête plus loin.
Elle survole notamment plusieurs pistes, dont celle qui concerne les nombreuses autres personnalités connues pour le lien, plus ou moins étroit avec Epstein, dont le président Donald Trump, le magnat d’Hollywood Harvey Weinstein, l’acteur Kevin Spacey, le cinéaste Woody Allen, ou encore l’ancien chef de la société Victoria’s Secret, Les Wexner. Si elle fait état des déclarations de Donal Trump affirmant ne pas avoir parlé à Epstein durant 15 ans et de Clinton niant connaître le comportement criminel d’Esptein, son traitement trop superficiel déçoit. Déjà arrêté en 2008 pour son premier chef d’accusation, Epstein avait réussi, grâce à ces fameuses hautes relations, à conclure un accord secret avec le gouvernement, pour éviter la perpétuité. De nombreux témoignages soulignent notamment l’amitié entre Epstein, l’ancien président Bill Clinton et le Prince Andrew, membre de la famille royale, tous deux aperçus plusieurs fois – précisément 26 fois pour Clinton – à bord son jet appelé le Lolita Express et sur son île privée, surnommée « l’île aux pédophiles ». Pourtant, les témoins frôlent à peine le sujet, confirmant leurs venus par des raisons professionnelles, ou pire, pour tout simplement profiter du soleil.
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En 2019, la mort d’Epstein engendre d’innombrables théories conspirationnistes et devient le centre du débat. Suicide ou meurtre ? A-t-il été tué pour protéger les autres, les plus puissants ? Un paquet de rumeurs et de ouï-dire auxquelles la série n’apporte aucune réponse.
Pour les familiers de l’affaire Jeffrey Epstein, la série documentaire n’apporte pas plus d’éléments que la page Wikipédia et passe malheureusement à côté de l’opportunité de creuser en profondeur un problème systémique dénonçant les abus de pouvoirs d’hommes puissants, célébrités et personnalités politiques. Si cette affaire a permis pour certains d’ouvrir les yeux sur les travers d’une société américaine étouffée par ses jeux de pouvoir, d’argent et de notoriété, le documentaire qui lui consacre Netflix reste pour d’autres l’incarnation d’une myopie autoprotectrice.
Jeffrey Epstein : Filthy Rich de Lisa Bryant, quatre épisodes disponibles sur Netflix.
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