A l’occasion de la sortie de sa série « Kidding » avec Jim Carrey dans le rôle principal, nous avons rencontré Michel Gondry pour parler entre autre de son enfance, de son rapport aux séries et bien-sûr de l’acteur du « Truman Show ».
Le réalisateur de Eternal Sunshine of The Spotless Mind débarque dans les séries en réalisant des épisodes de la comédie dramatique Kidding, où Jim Carrey brille en animateur télé pour enfants endeuillé. L’occasion de parler avec Michel Gondry de son rapport à cet acteur hors-normes, de sa nostalgie de l’enfance perdue et de l’impossibilité pour lui de prendre vraiment au sérieux les séries qui se prennent au sérieux.
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Quelle a été votre première motivation pour réaliser des épisodes de Kidding ? Les retrouvailles avec Jim Carrey presque quinze ans après Eternal Sunshine of The Spotless Mind, ou le désir de filmer ce personnage endeuillé totalement hors-norme ?
Michel Gondry – Un petit peu des deux. L’histoire et le concept m’ont paru originaux et assez riches pour se développer au long cours. Dave Holstein, le créateur, a raconté le point de départ en deux ou trois phrases claires et complexes à la fois. Pour moi, c’est un signe important. Quand on est obligé d’expliquer les choses en revenant en arrière, en entrant dans les détails pour que tout ait du sens, c’est mauvais signe. Là, tout était évident. La série progresse en flèche, on ne s’ennuie pas. Bien sûr, l’idée de retravailler avec Jim Carrey a également eu un impact. Sur notre premier film ensemble, les choses se sont bien passées. Ce n’était pas toujours facile mais nous étions tous les deux contents du résultat.
Dans votre cinéma, il y a toujours des personnages avec un passif, une forme de mélancolie. Dans Kidding, le héros est dépressif et en deuil. C’est comme un approfondissement. Jeff, alias Mr Pickles, ressemble à ces grands héros tragiques des séries des années 2000, mais en version plus modeste, dans le bon sens du terme. Un homme normal qui voudrait le bien mais qui est brisé.
Ce qui me plaisait, c’était qu’il croit vraiment à ces valeurs de gentillesse et de bienveillance. Elles fonctionnent dans le monde de la fiction et de son émission de télévision, un monde créé a priori pour les enfants, même si on se demande si lui-même n’est pas la cible de sa propre création. Jeff s’est inventé une réalité, mais les choses se passent différemment. Sa philosophie et son optimisme ne collent pas et les gens autour de lui ont beau lui faire remarquer, eh bien il essaie, il persévère, pour garder son intégrité. En même temps, son existence s’effrite.
Il est beaucoup question d’enfance perdue dans Kidding. C’est un élément de scénario puisque le personnage de Jim Carrey vit un drame familial, mais c’est aussi quelque chose dont j’ai l’impression que cela vous touche. Tout votre cinéma est tourné vers la déception de grandir.
On pourrait dire que le personnage ou moi-même avons refusé de grandir. Lui, il n’a pas pu grandir. Il est resté, par mélancolie, nostalgie et automatisme, bloqué dans cette époque où la vie parait infinie et où la créativité est fonctionnelle, comme un apprentissage permanent. Pour moi, c’est ce qui s’est passé. Je me suis aperçu que je pouvais vivre et gagner ma vie en continuant ce que j’avais commencé à faire dès quatre ans. Il n’y a pas énormément de différence entre ce que je réalise maintenant – à part évidemment les contraintes techniques et gérer un tournage – et ce que je faisais enfant. Au niveau de la créativité c’est à peu près la même chose.
Mais vous n’avez pas l’impression d’être resté bloqué dans l’enfance, contrairement au personnage. C’est un sentiment positif.
Il y a du positif et du négatif. Le positif c’est une certaine naïveté, qui peut engendrer une sincérité. Le côté négatif, ce serait peut-être une immaturité, une sorte d’effroi par rapport aux choses inévitables de la vie. En cela, je me suis vraiment identifié au personnage de Mr Pickes et c’était naturel pour moi de le diriger : je ressentais ce qu’il ressent. Ce sont aussi des qualités ou défauts que Jim Carrey possède. Il a commencé sa carrière en faisant je ne dirais pas le pitre, mais en poursuivant ce qu’on fait quand on a envie d’amuser ses petits camarades de classe.
Dans Kidding, c’est comme s’il éteignait définitivement le burlesque sale gosse presque effrayant pour lequel il a été reconnu. Mais on peut aimer également ses pitreries. Ace Ventura, c’était bien !
Je suis un grand fan aussi. Dumb and Dumber est un de mes films préférés de tous les temps. Il faut regarder les débuts de Jim Carrey, c’est facile à trouver sur YouTube. Lors de sa première apparition dans l’émission de David Letterman, il a fait des imitations d’un genre qu’on n’avait pas vu avant. Il transformait son visage. Le voir incarner Leonid Brejnev (ancien leader de l’URSS dans les années 70, NDLR) c’est comme entrer dans une galerie d’art. C’est tellement absurde et en même temps, cela fait appel à la virtuosité, comme une nouvelle forme d’expression, à partir de l’élasticité du visage.
https://www.youtube.com/watch?v=nGc_mT7h-L8
Mais il n’y a pas seulement cet aspect extérieur et plastique chez lui. Par exemple, dans Dumb and Dumber, quand il veut se battre avec un enfant dans la scène du diner, ça me fait hurler de rire. Jim pousse tellement loin l’absurdité que finalement cela tombe presque dans la folie. Il n’y a aucune limite. J’ai toujours aimé cet aspect de lui. Peut-être qu’en vieillissant, il est allé chercher des choses un peu plus touchantes, mélancoliques, comme dans The Truman Show où il garde son côté comédie mais exprime une forme de naïveté et de solitude à travers ce personnage. C’est ce qui m’a frappé le plus quand je l’ai rencontré. Jim a une apparence très philosophique et très décidée, mais il y a une solitude derrière qui me touche.
C’est cette solitude que vous filmez dans Kidding ?
Oui, il y a une grande solitude du personnage qui se retrouve seul à affronter la dure réalité, tandis que les gens autour de lui expliquent que les choses fonctionnent différemment. Mais il y a des moments où finalement on s’aperçoit qu’il a quand même raison ! Dans un épisode, on réalise que ce dont les gens se moquaient s’avère être la réalité. C’est un court instant, qui donne l’impression au spectateur qu’il n’a pas complètement tort…
Vous regardez des séries contemporaines ?
En fait, j’ai beaucoup de mal avec les séries sérieuses. Je ne peux pas regarder Game of Thrones. Enfin, pas directement. Quand j’étais en tournage au Chili, mon producteur avait trafiqué la télé pour qu’on puisse voir un épisode au même moment qu’aux Etats-Unis. On était une quinzaine. Regarder les gens regarder l’épisode, c’était ahurissant. Je ne comprenais pas ce qui se passait. C’était comme la Coupe du Monde de foot. A un moment, un personnage a été révélé – la reine des Dragons, je crois – et les gens se sont mis à hurler, un phénomène complètement étranger à moi que je trouvais fascinant et drôle. Ce que j’aime, ce sont les séries comiques. J’étais un grand fan de 30 Rock il y a quelques années. Il faut que ce soit drôle et que ça ne se prenne pas au sérieux, sinon je n’y arrive pas. J’ai essayé The Wire, Breaking Bad, ces séries vraiment acclamées que mon fils adore, mais ça ne me fait rien.
Vous devriez regarder Atlanta de Donald Glover : elle navigue au-dessus de la mêlée.
Tout le monde m’en a parlé mais je n’ai pas réussi à la voir. Je n’arrive pas à attraper les chaines sur ma télé, c’est un peu regrettable mais je ne sais pas comment ça marche…
Vous avez maintenant connu tout le spectre des récits en images : publicité, clips, films, séries. Qu’en retirez-vous ?
J’ai même fait du documentaire. La publicité m’a appris la politique : gérer 150 000 opinions qui vont dans tous les sens en même temps. La série, au niveau technique et tournage, reste assez proche du cinéma, même s’il faut travailler un peu plus vite. La différence principale c’est qu’on ne connait pas la fin, on ne la sent pas venir si c’est bien fait. Ce n’est pas forcément facile pour les acteurs et il faut maintenir la consistance des personnages sur la durée. Il y a aussi un aspect routinier que je trouve assez agréable dans le fait de travailler pendant plusieurs mois avec la même équipe. Parfois, ça me manque au cinéma et j’ai apprécié cela avec Kidding dont j’ai réalisé six épisodes sur dix.
Pour comparer aux autres formats, les clips m’ont permis à une époque de gérer les personnalités plus ou moins difficiles, les egos dus à la célébrité, et aussi de mettre les personnes en confiance par rapport à un tournage et à la caméra, car les musiciens ne sont pas forcément acteurs. Parfois, en tant que réalisateur de clip, on place son ego dans sa poche … Le documentaire m’a permis d’apprendre à tourner un plan ou une histoire sans savoir où cela ira. On découvre le récit en même temps qu’on le filme et c’est passionnant. J’ai essayé de garder un peu ça en tête quand je suis retourné au long-métrage. Maintenant, sur un plateau, je me mets en position d’être prêt à capter la surprise. Je ne donne jamais d’indication de jeu avant le tournage. Après les premières prises, j’interviens. Mais au départ, je ne veux pas gâcher une idée qui surgit d’un acteur et ne me serait pas venue spontanément.
Propos recueillis par Olivier Joyard
Kidding est diffusée chaque mardi à 22h40 sur Canal Plus séries. Disponible en replay.
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