Il y a quelques années, on découvrait lors d’une projection organisée par la Fémis les pilotes accouchés par la fournée d’étudiants inaugurant la nouvelle filière séries, une première en presque trente ans d’existence de l’école de cinéma numéro un en France – un réveil tardif et néanmoins excitant. Frédéric Rosset planait au-dessus du lot avec Irresponsable, dans un style burlesque et distancié à la grâce immédiate et à la douceur palpable.
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Vite amoureuse, la chaîne OCS mettait la main sur la série et lançait la production d’une première saison, remplaçant la réalisatrice initiale Emilie Noblet par Stephen Cafiero, mais conservant une bonne part de l’esprit et du ton originels. Depuis, nous sommes en présence de l’une des très rares comédies françaises de 26 minutes, qui entame déjà sa deuxième saison.
Une forme de poésie branlante
Et le pitch, au fait ? Irresponsable raconte l’histoire d’un loser magnifique, Julien, un trentenaire forcé par une drôle de vie – et le chômage – à retourner vivre chez sa mère, dans la banlieue parisienne cossue mais pas vraiment branchée de Chaville. Là-bas, lors d’un dîner avec son ex-amour d’adolescence dans un restaurant chinois, assis près de l’aquarium, il apprend qu’un bouleversement encore plus grand l’attend. Il a eu un fils avec cette femme. Il se prénomme Jacques et est désormais un ado rigolo et maladroit de 15 ans.
L’idée de base de la série se déployait dans les dix premiers épisodes en enchaînements bordéliques mais efficaces. D’un côté, le personnage entrait dans une forme de régression, retrouvant une maman possessive et frustrée par sa vie de célibataire ; de l’autre côté, il se projetait vers un ailleurs autrefois impalpable, celui d’une paternité bien loin de ses habitudes de fumeur de joints. Le clash des deux produisait une forme de poésie branlante.
Etre père, ce serait devenir acteur ? L’hypothèse intéresse et le secret d’Irresponsable se trouve peut-être là, dans l’épanouissement d’un saltimbanque
Dans la deuxième saison, Julien n’a pas muté en adulte responsable – bon titre ne saurait mentir – et il enchaîne toujours les spliffs dans une existence vouée au surplace stylé/décoiffé. Borderline dans sa relation avec la loi, il achète de quoi fumer à des élèves dans le collège où il bosse à mi-temps. Sa relation avec son fils, pourtant, est de plus en plus matérialisée, comme si la série voulait le remettre placidement sur le droit chemin de ses obligations de grande personne, et constater les dégâts. La première partie de la saison montre Julien épanoui dans une forme de paternité à la cool, un peu comme s’il jouait à un jeu. Le jeu d’un comédien à qui on aurait demandé d’endosser un costume trop grand, et qui en aurait fait un déguisement loufoque.
Etre père, ce serait devenir acteur ? L’hypothèse intéresse et le secret d’Irresponsable se trouve peut-être là, dans l’épanouissement d’un saltimbanque. Une séduisante équation qui rejoint la personnalité toujours funky de Sébastien Chassagne. La petite trentaine, celui-ci n’est peut-être pas père – nous n’en savons rien et peu importe – mais il fait partie de ces comédiens rares sur qui tout rebondit joyeusement.
Une impression de vitesse et de surprise
Avec lui, la balle est toujours renvoyée plus vite qu’elle n’arrive, ce qui donne à la moindre scène d’Irresponsable une impression de vitesse et de surprise, une enfance de l’art très séduisante dans le spectre encore cahotant de la comédie en série made in France. Il a joué l’année dernière dans Happy End de Michael Haneke, on le verra bientôt dans Engrenages septième saison et sans doute dans tout ce que le pays compte de projets plus ou moins hilarants.
Espérons quand même que le garçon reste attaché à Irresponsable. L’écriture fine et souple de Camille et Frédéric Rosset l’enveloppe de situations riches et complexes, souvent ultradrôles. Encore plus de temps passé dans la peau de Julien pourrait donner l’occasion à la série de se confronter en profondeur aux sujets qu’elle touche encore un peu de loin et qui pourtant la structurent.
Pour l’instant, derrière les gags, les douleurs de l’amour et le refus des normes sociales ne piquent pas vraiment. Il manque à Irresponsable un peu d’acidité pour devenir grande. Elle ne perdrait sûrement rien de son charme en s’assumant plus féroce. Olivier Joyard
Irresponsable Saison 2 sur OCS
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