En resserrant son intrigue et en solidifiant sa forme, la seconde saison d’ »Iron Fist » aligne les aventures du super-héros milliardaire au poing d’acier sur les standards de l’univers étendu Marvel / Netflix, et perd en singularité ce qu’elle gagne en maîtrise. (Spoilers)
Cet article comporte des révélations sur les deux saisons de la série Iron Fist.
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Immature, ringarde, lisse, risible… Lors de sa diffusion en mars 2017, la première saison des aventures télévisuelles du justicier au poing d’acier avait catalysé les foudres de la critique et du public. Les spectateurs se sont empressés d’en remiser les treize épisodes dans le placard nanar et sous l’étiquette de « première sortie de route de l’univers étendu super-héroïque Marvel / Netflix », où viendront les rejoindre quelques mois plus tard les huit chapitres des dispensables Defenders.
Le renouvellement inattendu de la série a été marqué par une réduction à dix épisodes et un changement de showrunner, le transfuge de Sleepy Hollow Raven Metzner prenant le relai de l’ex de Dexter Scott Buck. Sa promotion a quant à elle pris la forme d’un vaste mea culpa accompagné par un faisceau de promesses : l’intrigue gagnera en vigueur, le personnage en épaisseur, et les scènes d’action en réalisme. Si la différence est effectivement palpable, on se permettra, à contre-courant, d’exprimer certains regrets.
Le mouton noir aux boucles d’or
La première saison décrivait le difficile retour au foyer new yorkais de Danny Rand après quinze ans d’exil dans le monastère de Kun Lun, situé dans une dimension parallèle. Tout en luttant pour reprendre le contrôle de l’entreprise-héritage familiale, il y affrontait La Main, puissante organisation criminelle, et se débattait avec son statut encombrant d’Iron Fist, qui lui permet de concentrer son chi pour faire de son poing une arme redoutable.
On a pu à juste titre reprocher à ce premier chapitre son rythme inutilement dilué, son esthétique fourre-tout, le manque de profondeur psychologique de ses personnages ou une appropriation maladroite de la philosophie extrême-orientale. Mais le déluge de critiques qui s’est abattu sur le show a masqué les nœuds discrets d’une maille narrative réjouissante, au premier rang desquels une inversion du chemin super-héroïque traditionnel : quand la plupart des personnages de comics finissent par assumer sous la pression populaire un rôle de justicier dont ils ne veulent pas, Danny Rand est dès l’origine convaincu de sa singularité dans un monde qui n’y croit pas.
Pour en finir avec le Chevalier noir
C’est ce décalage permanent, associé à la bienveillance profonde du personnage, qui a nourri les plus belles scènes de la saison précédente, celles dans lesquelles ce grand enfant naïf tentait de décoder les signes d’un monde qui lui était imperméable, comme le faisait Dougie Jones dans la troisième saison de Twin Peaks.
Il n’est pas impossible que cette innocence optimiste soit l’une des causes principales du rejet subi par la série : depuis les Batman de Christopher Nolan, le mythe du Chevalier noir a déployé son emprise sur le versant audiovisuel du genre super-héroïque, et le vigilente tourmenté et borderline est passé du statut d’exception à celui de norme. Construit à l’origine pour dénoncer les dérives sécuritaires de l’Amérique Reaganienne puis pour matérialiser la perte de repères post-11 septembre, cette figure de justicier hanté, peu à peu vidée de sa charge critique, est devenue une fin en soi.
Si la résilience post-traumatique de Jessica Jones ou la coloration mafieuse des actes du working class hero Luke Cage avec ont été traitées avec une grande intelligence narrative dans les deux séries éponymes, les atermoiements moraux de Daredevil ou l’ultra-violence du Punisher ont donné lieu à des matérialisations fictionnelles plus problématiques. Et si le geste politique incompris d’Iron Fist avait été justement de faire de son héros un chevalier blanc ?
Rentrer dans le rang et perdre son âme
La saison 2 d’Iron Fist s’ancre dans une ville laissée à la merci des gangs après le sacrifice de Daredevil. Alors que Chinatown s’embrase sous l’influence des Triades, Danny Rand doit faire face à trois ennemis : son ancien frère d’armes Davos, qui lui reproche d’avoir failli à son devoir de protecteur de Kun Lun ; Joy Meachum, ivre de vengeance suite à la mort de son père ; et la mystérieuse Mary Walker, alias Typhoid Mary. Le premier a le charisme d’une huitre, la seconde devient sans raison une manipulatrice perverse et la troisième joue à la truelle le registre rebattu de la vilaine psychotique.
Exit l’entrelacs bicéphale entre série d’action et drama d’entreprise sur lequel reposait la saison précédente : Danny s’est installé avec Colleen et doit affronter les mêmes enjeux sentimentaux que ses collègues (peut-on mener une vie de couple quand on castagne des criminels à longueur de nuits ?), tout en voyant son innocence rongée par une noirceur plus convenue.
Si le duo féminin formé par Colleen Wing et Misty Knight est réjouissant, la crise existentielle du personnage principal, tenté par le dark side du justicier, n’amène rien de nouveau à ce terrain déjà largement labouré dans la saison 2 de Luke Cage (il défonce en cachette des plaques de tôle pour décharger sa colère, quelle originalité !). Enfin, les scènes de combat, qui lorgnaient vers les grandes heures du cinéma d’action asiatique (on se souvient du superbe épisode 6 réalisé par RZA), sont devenues plus violentes et premier degré, perdant l’allant formel et la légèreté d’approche du traitement façon série B.
Face à la vindicte des spectateurs, Iron Fist a donc raboté ses défauts les plus saillants pour rentrer dans le rang, mais a perdu au passage ses maladroites et attachantes singularités.
Iron Fist saison 2, disponible sur Netflix.
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