La première incursion de HBO dans l’heroic fantasy a coûté très cher et suscité d’énormes attentes. Résultat lourdaud.
Depuis la glorification mondiale des Soprano en 1999, chaque nouvelle création de la chaîne à péage HBO est scrutée dans l’attente d’un miracle. Il y a eu quelques autres coups d’éclat, de Six Feet Under à The Wire, mais depuis quelques années, les grandes séries avaient tendance à naître autre part dans la galaxie du câble américain, et notamment sur AMC (Mad Men, Breaking Bad).
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On connaît l’histoire : HBO a largement souffert d’une concurrence qu’elle a elle-même contribué à faire naître en montrant la voie du succès. Vexée, la chaîne de AOL Time-Warner entreprend depuis un an un travail de reconquête symbolique. Sa méthode ? Montrer les muscles. Ce qu’elle a fait en septembre 2010 en s’offrant la série la plus chère de son histoire, Boardwalk Empire, au pilote réalisé par Scorsese.
Ce qu’elle a encore fait ce 17 avril en mettant à l’antenne sa première incursion dans l’heroic fantasy, Game of Thrones, une sorte d’opéra des neiges en costumes où chaque minute coûte le prix d’une saison de série française – on rigole, mais pas trop.
Game of Thrones est adapté d’une célèbre série de livres (Le Trône de fer, de George R. R. Martin) et ressemble pour le néophyte à un succédané du Seigneur des anneaux en plus sobre. La saga historique s’y mêle au conte fantastique. Pourquoi cette envie de se frotter à un genre a priori peu calibré pour les écrans de télé (et surtout d’ordinateur) contemporains ? On ne voit pas d’autre réponse immédiate que l’expression d’une extrême vanité.
Une envie de prouver que la télévision s’aventure désormais dans des territoires autrefois impossibles à approcher. Un désir mégalo de remettre en cause l’adage selon lequel seul le quotidien peut être montré et sublimé à la télévision. Est-ce vraiment un problème ? Pas forcément. Après tout, l’attrait romanesque de l’heroic fantasy est naturellement compatible avec la forme sérielle.
Les fils narratifs restent d’abord centrés sur l’intimité des personnages. On ne demandait qu’à voir. On a vu deux épisodes de Game of Thrones. Pour l’instant, la série a seulement réussi à nous tomber des yeux. Que nous propose-t-on ? Une intrigue de mort, de pouvoir et de sexe, un fond shakespearien rassis où l’audace se compte principalement au nombre de giclées de sang, de culs et de seins exhibés. Il y a quelques années, Rome avait fait de ce fonds de commerce un véritable geste esthétique, un plaidoyer ambigu pour un monde violent et charnel.
Ici, la mécanique tourne à vide. On ne retient que les intentions grossières, les corps et les costumes trop formatés, l’étouffement de la fiction et du spectateur. Quand une blonde à l’air de biche effarouchée baise avec un guerrier bodybuildé vaguement travelo, on se passionne d’abord un instant, dans l’attente d’un événement camp. Mais très vite, le soufflé retombe. Les créateurs de la série (David Benioff et D.B. Weiss) manquent singulièrement d’humour et de distance, et ne compensent pas vraiment avec un sens du sublime.
Le succès public et critique de Game of Thrones semble donc passablement injustifié. On serait même près à abandonner la série pour toujours, si on n’entrevoyait quelques pistes possiblement intéressantes sur le long terme. Celles-ci concernent en majorité les personnages d’enfants (un jeune prince et une princesse canaille), les seuls à se défaire de la lourdeur ambiante pour imposer leur liberté de mouvement et leurs yeux rageurs. On aimerait croire qu’ils parviendront à sortir Game of Thrones de sa torpeur.
Olivier Joyard
Game of Thrones chaque dimanche sur HBO
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