Avec son élite de traders vingtenaires plongée dans le monde glaçant de Wall Street, Industry dénonce avec une acuité hors normes l’ultralibéralisme décomplexé.
Il y a quelques années, une série comme celle-ci n’aurait jamais existé. HBO, en tant que poids lourd de l’industrie, se reposait le plus souvent sur des talents confirmés et des signatures réputées. Mais c’était avant. Associée à la BBC – c’était déjà le cas pour la géniale I May Destroy You, de Michaela Coel –, la chaîne des Soprano a accompagné la création d’un duo de scénaristes inconnus qui n’avaient jamais écrit de série, Mickey Down et Konrad Kay, avec des comédien·nes pour la plupart sans CV notable. Cela ne fait pas d’Industry un chef-d’œuvre a priori, mais la curiosité s’en trouve forcément attisée.
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Cela posé, on constate devant les quatre premiers épisodes sur huit – ceux que nous avons pu voir au moment d’écrire ces lignes – que l’ADN de la chaîne câblée historique est ici largement respecté, avec un quota assez élevé de scènes explicites de sexe, hétéro et gay…
https://www.youtube.com/watch?v=PbM84z4XYgc
Un premier épisode réalisé par Lena Dunham
Le sexe fait même figure de sujet indirect de la série, qui traque la façon dont la libido et le désir de puissance avancent parfois mais dans la main avec le capitalisme le plus effréné. Les héros et héroïnes d’Industry sont à la pointe de l’ultralibéralisme, étudiant·es en fin de parcours qui intègrent une banque d’investissement et sont mis·es en concurrence pour obtenir des postes après une période d’essai. Une élite de traders un peu désordonnée, diverse, peu sûre d’elle et en même temps persuadée de détenir les clés secrètes du monde: le mélange détone et produit un effet contemporain immédiat.
Le premier épisode, réalisé par Lena Dunham (la créatrice de Girls, qui n’a pas d’autre implication dans la série), donne le ton, celui d’une immersion pas forcément sympathique dans un milieu dur, concurrentiel, parfois même féroce. Mais la flamboyance des fictions grandiloquentes sur le monde de la finance – idéalement, Le Loup de Wall Street de Scorsese – a laissé place à une vision plus neutre et donc encore plus effrayante, car proche.
A aucun moment ces jeunes hommes et femmes ne questionnent l’utilité de ce qu’ils et elles sont en train de faire. Ou plutôt, cette inutilité a été intégrée comme une donnée de base dont il n’est pas intéressant de tenir réellement compte. La violence du système et la mort comme issue possible ne leur font ni chaud ni froid. Il·elles sortent beaucoup, se droguent beaucoup, puis retournent travailler comme des petit·es soldat·es…
Remettre en question un système
Industry montre des individus qui ne laissent le désir les déborder que pour atteindre leur but ultime, obtenir une forme de pouvoir. Ce n’est pas toujours d’une finesse absolue et, comme pour Succession, la question de s’attacher aux un·es et aux autres se pose.
La suite de cette première saison le dira. En attendant, l’ambition de Mickey Down et Konrad Kay semble évidente: dresser le portrait d’une génération qui a beaucoup de mal à remettre en question un système. En profiter ou le renverser : telle est la question. Après Euphoria, qui détaille puissamment les affres des ados contemporain·es, Industry s’attaque à leurs aîné·es vingtenaires. Et le même sentiment d’impasse domine.
Industry à partir du 10 novembre sur OCS
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