Portrait de jumeaux en miroir rongés par la maladie mentale, la série mise scène par le réalisateur de The Place Beyond the Pines offre à Mark Ruffalo un double rôle pétri de noirceur et hanté par le spectre d’une malédiction familiale.
C’est l’histoire de jumeaux qui s’aiment à la folie, ou plutôt malgré elle. Diagnostiqué schizophrène paranoïaque depuis sa jeunesse, Thomas s’égare dans sa forêt mentale et disparaît peu à peu à lui-même. Sain d’esprit, Dom porte son frère à bras-le-corps pour l’empêcher de sombrer. A la suite d’une crise de démence dans une bibliothèque municipale, Thomas est interné dans un établissement psychiatrique de haute sécurité. Dom va tenter de le sauver tout en naviguant à travers les vestiges de son existence dissolue.
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Intégralement mise en scène par Derek Cianfrance (The Place Beyond the Pines), dont on retrouve le goût pour le mélodrame familial hanté, I Know This Much Is True emprunte au roman éponyme de Wally Lamb sa dynamique centrale, celle de jumeaux placés en miroir dont les reflets s’éloignent de façon inéluctable. C’est ce décalage qu’investit la série, dans le sillage d’un Mark Ruffalo transformiste, qui en incarne les deux rôles principaux avec une aisance stupéfiante.
Une archéologie des traumas
Nés à six minutes d’écart mais à cheval sur les deux moitiés du siècle, Dom et Thomas semblaient pourtant prédestinés à cette distance tragique que le premier s’évertue à combler au-delà du raisonnable, tant par amour que pour se donner une raison de vivre. La relation entre les jumeaux est ainsi chargée d’ambivalences, Dom reprochant intérieurement à Thomas d’avoir gâché sa vie tout en lui permettant de vivre la sienne par procuration, refusant d’admettre l’étendue de sa folie tout en l’embrassant à corps perdu.
Resserrée dans un premier temps, l’intrigue s’étoffe en un feuilleté temporel pour tenter de circonscrire l’ampleur de la tragédie familiale. De l’enfance des jumeaux, placés sous la coupe d’un beau-père éruptif, à leur quarantaine tardive, en passant par une vie étudiante troublée par les crises de Thomas, leurs destins croisés se déploient sur près d’un demi-siècle. S’y ajoute le spectre d’un grand-père cruel, immigré sicilien disparu avant leur naissance mais dont les turpitudes suintent des pages d’un journal intime récupéré par Dom.
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On comprend alors qu’il y a une véritable archéologie des traumas à mener, qu’il faudra déterrer les racines familiales, gratter la boue et les insectes qui les rongent, pour approcher l’origine d’une malédiction dont le centre de gravité ne cesse de se dérober.
C’est sur cet axe d’une transmission générationnelle des péchés, d’une prédestination quasi biblique à la violence, que la série vacille et manque à plusieurs reprises de s’effondrer. Si la circulation heurtée des affects qu’elle met en scène parvient à nous troubler, souvent au détour d’un geste ou d’un regard, cette façon de les inscrire dans un circuit fermé comprime le potentiel émotionnel du récit au profit d’une architecture cruelle.
Deux faces d’une même pièce brisée
A la noirceur absolue du tableau qui s’esquisse (une mère malade, une rupture amoureuse, un enfant mort en bas âge) s’ajoute un attrait pour le glauque assez déplaisant : torrent de larmes, filet de morve ou testicules enflées, rien ne nous est épargné de ces corps en souffrance.
Plus que deux personnages distincts, c’est d’ailleurs un corps composite et boiteux que semble incarner Mark Ruffalo, comme deux faces d’une même pièce brisée qui s’accrochent l’une à l’autre. Si la dualité de Hulk, créature à laquelle l’acteur a prêté ses traits dans l’univers cinématographique Marvel, nous revient parfois à l’esprit, c’est un fantôme bien réel, découvert au gré de navigations internet, qui viendra éclairer la fiction d’un éclat inattendu.
En 2008, Scott Ruffalo, le frère de Mark, a été retrouvé assassiné à son domicile. La disparition progressive d’un lien fraternel se double alors du souvenir d’un être disparu, chargeant l’interprétation du comédien de résonances bouleversantes.
I Know This Much Is True Sur OCS City, sortie le 11 mai 2020
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