A l’occasion de l’arrivée sur Amazon Prime Video et Netflix de South Park, retour sur la série culte de Trey Parker et Matt Stone, chronique décapante et irrévérencieuse de l’Amérique du XXIe Siècle.
« Tous les personnages et les événements de ce dessin animé, même ceux basés sur des faits réels, sont totalement fictifs. Les voix des personnes célèbres que vous pourriez entendre sont des imitations (pitoyables). Les dialogues de ce programme sont d’une parfaite vulgarité et pour cette raison il devrait être interdit à tout public. » C’est par ce disclaimer volontairement sulfureux que commence chaque épisode de South Park, la série d’animation profondément irrévérencieuse créée par Trey Parker et Matt Stone. Derrière son graphisme minimaliste et faussement enfantin, fait de papiers découpés et d’aplats de couleurs, se cache un humour corrosif, une vulgarité souvent frontale, et un cynisme mordant qui brossent, depuis plus de vingt ans, un portrait au vitriol de la société américaine. Sorte de pendant trash aux Simpson, South Park est devenu au fil des années un véritable phénomène de société, brassant son lot de polémiques et controverses, sans jamais transiger sur sa mission sacerdotale : s’évertuer à rire de tout. Alors que la 23e saison vient de démarrer outre-Atlantique, Netflix propose ce vendredi 27 septembre les 6 dernières saisons de la série dans son catalogue, tandis que le concurrent Amazon Prime a annoncé l’arrivée de l’intégrale des 22 saisons le 31 septembre prochain. Retour, à la faveur de cette triple actualité, sur une odyssée cartoonesque et scatophile aux confins du politiquement correct.
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Politiquement incorrect
A la question tant de fois ressassée du « peut-on rire de tout ? », dont la réponse retorse de Pierre Desproges a fini par devenir un slogan souvent malhabilement employé, les créateurs de South Park, Trey Parker et Matt Stone, répondraient certainement certainement d’un « oui » univoque. Mieux, il diraient probablement qu’en plus de pouvoir rire de tout, on devrait rire de tout. Et pour cause, peu de sujets de société passent sous le radar de ces deux parodistes de l’extrême, passés maîtres dans l’art d’ausculter la société américaine à l’aune d’un humour corrosif et politiquement incorrect. Dans South Park, tout le monde en prend pour son grade : conservateurs et progressistes, riches et pauvres, chrétiens et Juifs, homos et hétéros. « C’est quelque chose dont ils ont beaucoup joué » nous explique Apolline Goudet, universitaire et auteure de l’essai Sitcoms d’animation américaines et politique, « revendiquer qu’ils pouvaient s’attaquer aussi bien aux conservateurs qu’aux progressistes. On pourrait aussi bien faire un papier « South Park et les conservateurs » qu’un papier « South Park et les progressistes », parce que, fondamentalement, Stone et Parker sont des libertariens. C’est la liberté d’expression qui prime, et il faut pouvoir se moquer de tout le monde : gauche, droite, démocrates, républicains etc. Ce en quoi ils croient fondamentalement, et ce qu’ils défendent par-dessus tout, c’est la liberté d’expression et le droit de parler, et de rire, de tout.«
Lancée en 1997 sur la chaîne câblée Comedy Central, alors en en pleine construction, South Park connaît un succès retentissant dés la diffusion de sa première saison. Si l’épisode-pilote, fièrement intitulé Cartman a une sonde anale, reçoit un accueil mitigé, l’emballement autour de la série sur internet, où l’épisode est très apprécié et largement commenté, incite la chaîne à s’engager pour une première saison, non sans une pression exercée par Parker et Stone, qui annoncent ne plus écrire pour Comedy Central si la chaîne ne signe pas pour une saison d’au moins 10 épisodes. Le succès est au rendez-vous, et South Park devient rapidement l’émission phare de Comedy Central. Son secret ? Parier sur un humour mordant et une vulgarité frontale qu’autorisait (et même encourageait) – à l’inverse des networks traditionnels -, le nouveau-venu Comedy Central, chaîne câblée alors en quête d’identité. « C’est Comedy Central qui arrivait face aux 3 géants du réseau américain historique (ABC, CBS, NBC – nldr) et qui cherchait à se démarquer, nous explique Apolline Goudet. Et d’office, toute la communication et tout le marketing qui a été fait autour de South Park n’a pas caché que ça allait être politiquement incorrect, qu’on allait mal parler, que ça allait être vulgaire et scatophile. Au contraire, ils en ont fait un argument de vente. Ca a été le premier programme télé classifié TV-MA (interdit aux moins de 17 ans selon la classification américaine – nldr), donc s’adressant exclusivement à un public adulte. Et ils ont en joué, avec toujours cette idée de de rire de tout, tout en assumant le fait d’être insolents. Ce sont des enfants qui parlent, donc ce n’est pas si illogique qu’ils soient insolents, et ça a permis aux créateurs de pouvoir tout dire, parce qu’on accepte assez intuitivement l’idée que des enfants parlent sans filtre « .
Mecha-Streisand et petit caca de Noël
Ces enfants, ce sont Kyle, Stan, Cartman et le mutique Kenny, quatre écoliers de huit ans, invariablement emmitouflés dans leurs manteaux d’hiver et leurs bonnets de laine, vivant dans la ville fictive de South Park. Ce petit bled du Colorado, éternellement recouvert d’un tapis de neige, aura tout connu au fil des 22 saisons de la série : une épidémie de conjonctivite transformant les contaminés en zombies, l’attaque destructrice de Mecha-Streisand, un robot géant à l’effigie de Barbara Streisand, ou la venue magique de Mr. Hankey, dit le petit caca de Noël, homologue scatologique du Père Noël qui sort de la cuvette des toilettes le soir du réveillon pour apporter des cadeaux aux gentils enfants ayant une alimentation riche en fibres. La liste des idées tordues est longue, au moins autant que celle des épisodes azimutés de cette série désopilante, parfois résolument débile, mais presque toujours hilarante.
L’autre raison du succès de South Park tient à son choix artistique : en optant pour du papier découpé aux couleurs primaires et aux formes géométriques minimalistes pour figurer personnages et décors (plutôt que du dessin) Parker et Stone n’ont pas seulement rendu hommage au dessin animé de Terry Gilliam dans le Monthy Python’s Flying Circus, ils ont aussi développé une méthode de travail redoutablement efficace. La fabrication d’un épisode peut ainsi être réalisée en un temps record (en tirant profit de logiciels informatiques pour assurer l’animation) permettant à ses créateurs de s’emparer de sujets d’actualité brûlants, pour mieux les détourner. Une méthode qu’Apolline Goudet tempère toutefois : « Ils on fait un choix esthétique : ils font du papier, et ne dessinent pas, donc ils pourraient même ne parler que d’actualité. Mais ça reste malgré tout une série télé, et il faut qu’on puisse la regarder dans 10 ans et ne pas la sortir de son contexte. C’est arrivé qu’ils fassent des épisodes très proches de l’actualité, et c’est notamment ce qu’ils font à chaque élection, mais ce n’est pas systématique. Pour l’élection de Trump, l’épisode a été fait le matin même, pareil pour celle d’Obama. Mais au final ils s’en servent assez peu, parce que le risque c’est qu’à trop parler d’actualité, la série devienne trop réaliste. Si ça devient trop réaliste, et qu’on parle trop de sujets brûlants, la série deviendrait vite une machine à scandales, et perdrait sa faculté à interroger la société. Au final ils s’en servent assez peu à l’exception des élections et de certaines affaires, notamment celle de l’euthanasie Terri Schiavo, qui avait fait grand bruit aux Etats-Unis. Mais ce sont des sujets dont ils considèrent qu’ils vont devenir suffisamment culturels, pour que dans 10 ou 15 ans les gens qui regardent la série comprennent.«
Humour fécal et vagin parlant
Toujours est-il que la série en a abordé, des sujets controversés, et s’est permis d’aller loin dans l’humour mordant (et scatophile, toujours), n’hésitant pas à dézinguer personnalités publiques et célébrités (acclamées ou décriées) avec férocité. Ainsi, dans l’épisode Gros Caca (s11e09), Randy, le père de Stan, accouche, après une prise de laxatifs, d’un étron immense, qu’il fait homologuer plus gros caca du monde par l’Institut Européen de Mesure Fécale. Une décision qui rend fou de rage l’ancien détenteur du record, rétrogradé deuxième plus gros caca du monde, et qui s’avère être Bono, le chanteur de U2. Dans Un million de petites fibres (s10e05), Servietsky, une serviette toxicomane produit de la cybernétique et élaborée par des extra-terrestres, est invitée sur le plateau d’Oprah Winfrey et se met à converser avec Gary, l’anus de la présentatrice préférée des Américains, et Moumoule, son vagin. Dans Piégé dans le placard (s09e12), Tom Cruise, en prédicateur scientologue illuminé, tente par tous les moyens de « sortir du placard » à la demande de son épouse Nicole Kidman, mais n’y parvient pas, entraînant avec lui dans le placard d’autres personnalités affiliées à la scientologie, comme John Travolta et R.Kelly.
Si cet humour féroce, repoussant toujours les limites de l’admissible, a fait le succès de South Park, se dessine aussi, de manière plus ou moins souterraine au fil des saisons, une radiographie cynique de la société américaine des vingt dernières années, apparentant la série au genre illustre de la caricature. « South Park est profondément lié à la caricature, ce qui en fait une série politique, explique Apolline Goudet. Après en soi, les créateurs ne sont pas à proprement parler politiques dans le sens où il n’y a pas un véritable engagement derrière. L’engagement il est sur celui qui va regarder et qui va comprendre ce qui est en jeu. Les créateurs se contentent de montrer les choses, à leur façon bien particulière, pour les interroger« . En abordant, sans aucun filtre et sous couvert d’un ton satirique et impartial, tous les sujets de société ayant défrayé la chronique aux Etats-Unis ces vingt dernières années (religion, bio-éthique, euthanasie, immigration, homophobie, transidentités etc.) South Park a su, plus que Les Simpson (moins versé dans la caricature), encapsuler son époque, et l’interroger par l’absurde. Car plus qu’une série grivoise promouvant une vulgarité sans bornes, South Park est une grande fable burlesque et absurde, certes souvent rivée à un humour scatologique, mais dont l’acuité et la manière d’ausculter le contemporain en font, plus qu’aucune autre sitcom d’animation, un révélateur de son époque, et « une emprunte temporelle« , selon les mots d’Apolline Goudet.
Make America great again
D’ailleurs, à l’inverse des Simpson ou de Family Guy, South Park a su se renouveler dans ses dernières saisons, en changeant parfois de forme pour mieux épouser l’évolution de la société américaine, sans pour autant transiger sur sa marque de fabrique : un humour décapant et sans filets. « Il y a eu une reprise d’audience, sans que ça atteigne l’âge d’or que ça a été au début, où il y a eu un réel déferlement, mais il y a bien eu un renouveau. Stone et Parker ont re-signé pour trois saisons donc ça prouve bien que ça fonctionne là où les Simpson périclite un peu. South Park étant très liée à ce qui passe politiquement, plus la politique va évoluer plus la série va évoluer avec elle. Généralement les séries d’animation comme Les Simpson, Les Griffin ou Bob’s burger, c’est quelque chose qui bouge très peu, alors que South Park s’est beaucoup éloigner du genre. Pour que la série dure, mais aussi pour se démarquer, pour se différencier. Il y a eu une évolution très nette à partir de la saison 19. Un vrai tournant qu’ils ont pris à la fois en parlant plus de politique, et en freinant sur la caricature« .
En freinant sur la caricature ? Oui. Début 2017, Trey Parker et Matt Stone déclaraient qu’ils renonçaient à parodier Donald Trump, qu’ils avaient jusqu’ici goulûment moquer. « Dans la dernière saison de South Park, avait déclaré Parker au micro d’une émission australienne, on a vraiment essayé de se moquer de ce qu’il se passait, mais on ne pouvait pas rivaliser, ce qui était en train de se passer était beaucoup plus drôle que tout ce que nous aurions pu imaginer. On a décidé de prendre du recul. On va laisser le gouvernement jouer sa comédie tout seul. » Quand une sitcom d’animation parodique résolument absurde – qui imagine un président des Etats-Unis construire un mur pour empêcher ses citoyens de rejoindre le Canada – se fait rattraper par la réalité, c’est peut-être que la réalité elle-même est devenue une vaste parodie.
South Park, saisons 15 à 21 disponibles sur Netflix le 27 septembre / saisons 1 à 22 disponibles sur Amazon Prime Video le 31 septembre
Sitcoms d’animation américaines et politique de Apolline Goudet, disponible aux éditions INA
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