Après “Hippocrate”, la deuxième saison de “HP” décrypte les abîmes de l’hôpital public, cette fois du côté de la psychiatrie.
Des séries françaises faites avec peu de moyens, mais ambitieuses, comme irriguées par le bouillonnement créatif en cours en Angleterre, aux États-Unis et dans le reste du monde depuis vingt ans, on en comptait encore très peu il y a quelques années.
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Toutes deux issues de la première promo du cursus “Écriture et création de séries” de la Fémis en 2014, les trentenaires Sarah Santamaria-Mertens (Fluide) et Angela Soupe (Les textapes d’Alice) possèdent cette culture en elles. Elles écrivent et réalisent, déjà sûres que le seul moyen d’arriver à leurs fins consiste à contrôler au maximum la chaîne de production. OCS leur en donne les moyens sur la durée. Leur création commune, HP arrive pour sa deuxième saison trois ans après la première, comme un test d’endurance suite à des premiers épisodes intéressants, mais aussi à cette pandémie vitrifiante pour beaucoup.
On retrouve Sheila (brillante Tiphaine Daviot), interne en psychiatrie dans un hôpital public indéterminé, probablement en banlieue de Paris. Autour d’elle, une cheffe tendue (Marie-Sohna Condé), un collègue qui a vrillé en burn-out en fin de saison précédente (Raphaël Quenard, souvent impressionnant), des patient·es arrivé·es dans le service après des glissades personnelles et quelques dévastations intimes, ainsi qu’une étrange figure tutélaire (excellent Éric Naggar) qui pousse la fiction vers des cimes surnaturelles.
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Acte politique
La première impression en retrouvant cette saison de dix épisodes est celle d’une familiarité immédiate : malgré ces longs mois à penser à autre chose, nous n’avions pas oublié ces éclopé·es, leurs histoires souvent profondes et leurs caractères affûtés. C’est déjà énorme, tant le principe narratif de HP consiste à travailler le familier dans ce qu’il a de plus évident, mais aussi de plus étrange. La série rapproche en effet patient·es et médecins, les place dans un même bain de problèmes qu’ils règlent à leurs rythmes respectifs. Elle tente de saisir la frontière parfois ténue entre la maladie mentale et ce que la société considère comme la normalité, jusqu’à parfois regarder ses personnages se briser sur cette frontière si difficile à tenir.
Dans le rôle-phare, Tiphaine Daviot produit des étincelles, à la fois oiseau tombé du nid et soignante de plus en plus affirmée. Elle incarne le ton de la série, qui passe avec fluidité d’un humour burlesque assez léger à des thèmes plus forts – toute une ligne est consacrée à l’incapacité qu’a Sheila d’avoir un orgasme – et même très durs, que ce soit le suicide ou l’impossibilité pour l’institution de soigner celles et ceux qui souffrent à la hauteur de leur mal-être. HP n’est pas une série-dossier dans l’âme, elle aime naviguer dans des sphères plus poétiques. Mais il n’empêche que dans cette deuxième saison encore davantage que dans la première, les créatrices ont clairement saisi leur responsabilité. Faire une série aujourd’hui sur l’hôpital psychiatrique en France n’a rien de neutre et souvent rien de drôle. Il s’agit d’un acte politique, qu’on le veuille ou non, tant la situation est terrible.
Service public
L’une des premières scènes pose de façon claire le principe de la rentabilité imposé à l’hôpital public depuis maintenant plusieurs années. La cheffe du service s’adresse à l’héroïne et lui explique la (nouvelle) vie telle qu’elle va : il lui faut choisir des patient·es qui retournent chez eux au bout de trois semaines tout au plus, histoire de ne pas plomber les comptes et d’enchaîner surtout des actes qui rapportent. Quitte à laisser rentrer chez eux des hommes et femmes qui pourraient gravement passer à l’acte. Tout ce petit monde qui ne tourne pas rond et fait mal aux corps et aux âmes, la série le montre frontalement et d’une manière souvent très convaincante.
L’abandon des médecins, la rage et la douleur qui en découlent, tout cela traverse HP de fond en comble. On peut regretter que le dernier mouvement de la saison, assez risqué dans son désir d’embardée en mode foutoir – Sheila va sortir de l’hôpital, on ne dira pas comment – ne perde un peu la boussole rigoureuse qui était jusque-là au cœur de la série. Là où la création d’Angela Soupe et Sarah Santamaria-Mertens est la meilleure, c’est quand elle s’affirme crânement en petite sœur débraillée d’Hippocrate, le regard tourné vers un “vivre ensemble” à la française qui dérape sérieusement et abandonne les plus faibles. Il y a une forme de beauté dans cette persévérance qui reste longtemps en mémoire.
HP saison 2, sur OCS
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