House of Cards, la série produite par Netflix avec le cinéaste David Fincher aux commandes, démontre une fois de plus que le genre est en révolution permanente. Elle débarque sur Canal+ dès la fin août. Tour d’horizon d’une rentrée riche en propositions passionnantes, tous médias confondus.
Dans l’un des premiers épisodes d’House of Cards, une jeune journaliste en pleine ascension se voit proposer un poste de correspondante à la Maison Blanche par le Washington Herald, un emblème de la presse américaine, succédané fictionnel du Washington Post. Le rêve de tout journaliste politique sensé ? Peut-être dans l’ancien monde. Mais l’ancien monde s’est effondré. L’impudente refuse le poste, débarrasse son bureau avec fracas, avant de partir travailler pour un site d’information flambant neuf.
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Difficile de croire que le scénariste Beau Willimon et David Fincher, les cerveaux derrière cette adaptation d’une minisérie anglaise de 1990, n’aient pas imaginé ce moment comme une métaphore amusée, voire légèrement sale gosse, de leur propre destin. Dans l’ancien monde, House of Cards aurait dû atterrir sur les écrans de HBO ou de Showtime, là où sont diffusées les séries adultes d’aujourd’hui, à forte valeur ajoutée culturelle, comme Game of Thrones ou Homeland. Mais la plate-forme de streaming Netflix (environ 30 millions d’abonnés aux Etats-Unis) cherchait à marquer les esprits en développant du contenu original. Elle a posé 100 millions de dollars sur la table et commandé d’emblée deux saisons de la série, afin d’éloigner les curieux, c’est-à-dire les importantes chaînes câblées subitement reléguées au rang de spectateurs, sonnées par ce hold-up légal d’internet sur leur territoire naturel.
A force de dire aux séries qu’elles ressemblaient à des films, elles ont fini par y croire
Même si en France la série s’apprête à être diffusée de manière classique sur Canal+, la destination première de House of Cards n’est pas le petit écran. On ajoutera que ses deux premiers épisodes ont été réalisés par le cinéaste majeur de Zodiac et que son acteur principal, Kevin Spacey, n’avait pas mis les pieds en dehors du grand écran ou du théâtre depuis plus de vingt ans. Alors, télévision, cinéma, internet ? Tout à la fois. Bienvenue dans un monde bizarre où la télévision est fabriquée pour internet, par des stars venues du cinéma. Il arrive que certaines oeuvres transgenres définissent une époque au-delà d’elles-mêmes. House of Cards en fait partie. Avant même qu’elle ne surgisse sur les écrans, il était difficile de trouver en 2013 un exemple plus emblématique de la force d’un genre – la série – autrefois méprisé mais aujourd’hui au centre du jeu culturel mondial. Un genre mûr au point d’imaginer sa propre mutation, son dépassement ?
Une chose est certaine : à force de dire aux séries qu’elles ressemblaient à des films, elles ont fini par y croire. L’idée affleure devant les deux premiers épisodes remarquables mais troublants de House of Cards, où la confusion est possible sur la nature de ce qui est vu. Dans un style nocturne cohérent avec celui de ses derniers longs métrages, David Fincher y raconte l’histoire du politicien démocrate Francis Underwood. Ce député puissant et expérimenté va obtenir un poste majeur (Secretary of State, équivalent du ministre des Affaires étrangères) auprès du président fraîchement élu. Mais la promesse qui lui avait été faite n’est pas tenue.
Pur pragmatique, le voilà prêt à tout écraser sur son passage pour remonter la pente, en retournant sa veste autant de fois que nécessaire. Ses adversaires tremblent, ils connaissent ses méthodes. Elles n’ont rien à voir avec celles de ses plus illustres prédécesseurs dans l’histoire des séries politiques, les membres de la fine équipe idéaliste et stylée d’A la Maison Blanche. L’époque n’est plus au swing. Fincher filme son héros comme un animal nocturne, un vampire qui arpente les bureaux, les rues et les sous-sols de Washington. Avec lui, l’espace démocratique devient un espace rongé par la mort. Underwood le balaie sans difficulté, comme Mark Zuckerberg faisait des dédales d’Harvard son jardin dans The Social Network. Tout ce qu’il entreprend est opaque et transparent à la fois. Pour lui, le pouvoir est d’abord une affaire de géographie ; son but est de ne jamais céder un pouce de terrain, de s’échapper sans cesse tel un passe-muraille. Pour Fincher, tout l’enjeu est de rendre ce mouvement fluide, presque imperceptible, dans le pur glissement ouaté des plans.
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Autant le dire : il faut du temps pour accepter que David Fincher n’ait pas réalisé l’ensemble de la première saison de House of Cards – Carl Franklin, Joel Schumacher, James Foley, Charles McDougall et Allen Coulter ont ensuite occupé son fauteuil. Le deuil s’étend au moins sur deux épisodes, où les défauts de la série deviennent visibles, notamment une certaine pesanteur démonstrative, un esprit de sérieux qui offre une place limitée à l’ambiguïté et peut laisser froid. Mais vers la mi-saison, le vaisseau décolle dans des directions insoupçonnées. Débarrassée de l’ombre de Fincher (ou l’ayant absorbée), House of Cards révèle des personnages perdus dans des abîmes soudain vertigineux et se transforme en fresque intime, ravagée. On finit par regarder une série, une vraie, sans se poser d’autres questions sur sa nature. L’ambition shakespearienne affichée par le scénariste et dramaturge Beau Willimon (il dit ouvertement s’être “inspiré de Richard III et Macbeth”) s’incarne alors de manière simple et émouvante.
C’est l’affrontement à couper le souffle entre Underwood et sa femme Claire (Robin Wright) où se mêlent la peur de vieillir et celle de ne plus aimer ; c’est la déchéance d’un homme filmée pas à pas ; c’est le calme aérien de l’épisode 11, sans doute le sommet de la saison. Regarder une série ressemble parfois à une course de fond. Dans House of Cards, tout glisse jusqu’à ce que quelque chose accroche brutalement. Là se joue le drame, chuchoté et imprévisible, où les hautes solitudes personnelles croisent celle du pouvoir.
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