Le comédien a mis en ligne en téléchargement légal sur son site le premier épisode de sa nouvelle série surprise, « Horace and Pete », objet filmique étrange et plutôt retors, aux côtés, notamment, de Steve Buscemi et Edie Falco.
On ne s’était pas encore vraiment remis de l’annonce faite par notre comique américain préféré de la possibilité que Louie ne revienne jamais. La série « mélancomique » la plus avant-gardiste de ces dernières années, où Louis C.K. se met en scène en père-loser-quadra dans la jungle de New York, a déjà connu cinq saisons flâneuses, sophistiquées et pour tout dire inoubliables. La dernière en date a été diffusée au mois de mai dernier. En début d’année, l’intéressé avait glissé lors d’une conférence de presse qu’il tournerait des épisodes supplémentaires quand l’envie lui prendrait. Ou qu’il n’en tournerait peut-être pas.
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Mais le rouquin le plus drôle de l’histoire de l’entertainment cachait bien son jeu, en apôtre involontaire de Beyoncé, comme l’ont relevé la plupart des médias US. Sans prévenir personne, en petit malin sans doute très fier de son coup, l’ami Louis vient en effet de mettre en ligne sur son site perso ce qui pourrait être le premier épisode d’une nouvelle série, Horace and Pete. Soit un peu plus d’une heure de fiction entièrement autoproduite. Une manière pour Louis C.K. d’affirmer encore son indépendance rageuse : il gère lui-même depuis longtemps la vente des billets pour ses spectacles de stand up, tout en produisant Louie avec très peu d’argent et une liberté totale par rapport à son diffuseur (la chaine FX).
Un épisode à télécharger légalement sur LouisCK.net
Dans une industrie qui n’aime rien tant que les artistes-vaches à lait, Louis C.K. joue le rôle de l’empêcheur de traire en rond. En vendant ce premier épisode pour cinq dollars à qui veut bien le télécharger légalement sur www.louisck.net, il réalise ce que personne avant lui n’avait les moyens ou l’ambition de mener au bien à cette échelle dans le domaine des séries, alors que le cinéma, de Marfa Girl à Made in France, commence à être habitué au contournement des canaux de distribution classiques.
Louis CK n’emmerde pas Hollywood, la télévision où les grands groupes de streaming : il fait comme si ce système n’existait pas. Et il a sûrement raison, puisqu’il a réuni en claquant des doigts (et sans que personne n’ait révélé l’existence du projet) un casting première classe. En plus de lui, on retrouve ici notamment Steve Buscemi, Edie Falco, Alan Alda et Jessica Lange. Tout ce beau monde est enfermé loin des regards, dans un monde métaphoriquement clos, presque autarcique, celui d’un bar irlandais miteux de Brooklyn qui existe depuis 1916. Le concours de brèves de comptoir peut commencer.
Proche du théâtre filmé
Horace and Pete raconte la tragicomédie d’une petite communauté, clients d’un côté, propriétaires de l’autre, exactement comme dans cette sitcom eighties nommée Cheers. Aux commandes de l’établissement, deux frères (Louis CK et Buscemi) doivent composer avec l’insupportable patriarche des lieux nommé Uncle Pete (Alan Alda), un type génialement misanthrope capable de balancer trois remarques sexistes et/ou racistes à la minute, sous le regard consterné des clients. Leurs conversations, absolument raccord avec les obsessions habituelles de Louis C.K., sont autant de confrontations irréconciliables sur le patriarcat, le sens de l’engagement politique et les liens familiaux plus ou moins mortifères. On entend même parler de Donald Trump, comme pour assigner le récit au présent d’une Amérique dont est présenté ici une vue agitée en miniature. Sauf que cette forme de modernité se trouve sans cesse contredite par la désuétude du dispositif, proche du théâtre filmé – un carton doucement ironique annonce même un entracte.
Dans cet objet filmique étrange et plutôt retors, Louis C.K. fait donc ce à quoi il nous a habitué, mais en changeant de peau. Aux mini-contes moraux que constituaient chaque épisode de Louie, il substitue cette mise en scène figée et cette narration linéaire qui renvoient au dramatiques télé à la mode en France et aux Etats-Unis entre les années 1950 et 1970. A l’histoire d’un seul homme proche de l’autofiction, il substitue la vie d’un groupe – même si son personnage reste le moins éloigné de ce qu’on appelle généralement un héros.
En prenant ses distances avec lui-même, Louis C.K. (qui a évidemment écrit et réalisé l’épisode) assume tranquillement le risque de nous refroidir. Le geste est complètement réfléchi. A cause de cela, Horace and Pete est fascinant. A cause de cela, Horace and Pete affiche des limites. Elles ne demandent qu’à exploser dans les mois qui viennent, si par hasard il prenait à mister C.K. l’envie de balancer un nouvel épisode. Il va de soi qu’il ne préviendra personne.
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