Une série post-11 Septembre intelligente, c’est possible. La preuve avec « Homeland », nouvelle création de la chaîne de « Dexter ».
Dix ans après les attentats du World Trade Center, le deuil ne s’éteint pas aux Etats-Unis, mais il se transforme et se complexifie, comme le prouvent deux séries de la rentrée télé. La plus exposée s’appelle Person of Interest (CBS), où un milliardaire marqué par le 11 Septembre a développé pour le gouvernement un programme informatique permettant de savoir à l’avance qu’un citoyen sera acteur ou victime d’un crime. Aidé par un ex-agent de la CIA, il s’en sert désormais pour établir sa propre justice.
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Pas de « jackbauerisme » dans « Homeland »
Saturée par les caméras de surveillance, hantée par l’idée qu’aucune image n’est « innocente », cette série produite par J. J. Abrams montre une Amérique obsédée par l’omniscience et troublée par la peur panique de manquer le signe, l’indice qui pourrait la sauver. Un genre de folie que le ton très classique des épisodes diffusés jusqu’à présent s’emploie à rendre acceptable. Idéologiquement, nous sommes dans la lignée de 24 Heures chrono. Une tendance à confirmer (ou non) au cours de la saison, en espérant qu’un minimum d’ambiguïté aidera Person of Interest à nous intéresser.
Pas de jackbauerisme en revanche dans Homeland, l’une des meilleures nouvelles séries débarquées cet automne – et pourtant, un de ses créateurs, Howard Gordon, fut un pilier de la maison 24. Son héroïne Carrie Mathison, jouée par Claire Danes, vit elle aussi chevillée au trauma des tours jumelles. « J’ai raté quelque chose ce jour-là, je ne veux pas refaire la même erreur », explique-t-elle à son boss, qui lui répond en frottant sa barbe : « On a tous raté quelque chose ce jour-là. »
Tous deux membres de la CIA, ils doivent faire face à un cas étrange, un soldat américain porté disparu en Irak en 2003 qui refait subitement surface et retrouve les siens.
http://youtu.be/xqddY2sOk6U
Miss Mathison est persuadée que le « héros » a été retourné durant sa captivité et travaille désormais pour un terroriste islamiste majeur – un prisonnier de guerre lui a fait passer une info. La blonde inquiète veut convaincre le monde qu’elle a raison et mène secrètement une enquête pugnace. La thèse de l’ennemi de l’intérieur est un basique de la littérature d’espionnage, mais dans Homeland, elle s’enrichit d’un voile de doute captivant qui évoque la regrettée Rubicon, dont l’un des scénaristes, Henry Bromell, a d’ailleurs migré sur cette série.
Deux solitudes, deux visions altérées par la souffrance
Ce doute, c’est une maladie. Si on parle souvent de « fiction paranoïaque » pour décrire les films ou séries qui voient la vérité ailleurs, il s’agit la plupart du temps d’une métaphore. Mais ici, la maladie mentale est au centre de la série, même s’il ne s’agit pas à proprement parler de paranoïa. L’héroïne souffre de troubles bipolaires qui l’obligent à gober des pilules de toutes les couleurs. Elle garde son affliction secrète et traîne simplement une réputation d’obsessionnelle et d’emmerdeuse au boulot.
Face à elle, le soldat revenu d’Irak connaît lui aussi des troubles psychiques – cauchemars, épisodes dépressifs – et on ignore s’il subit réellement ces moments pathétiques. Très vite, on comprend que la série va analyser et confronter deux solitudes, deux visions du monde altérées par la souffrance.
Reste la question politique. Comme dans Person of Interest, les caméras de surveillance jouent ici un rôle majeur. Mais les scénaristes, adaptant un format israélien, ont l’intelligence de montrer qu’elles ne suffisent pas. Que se passe-t-il dans la tête des humains ? Il y a toujours un point aveugle que toutes les caméras de surveillance du monde ne pourront saisir. Homeland s’y glisse d’une manière pour l’instant très convaincante.
Olivier Joyard
Homeland créée par Howard Gordon et Alex Gansa. Le dimanche à 22h sur Showtime
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