Durant cinq saisons de « Mafiosa », Hélène Fillières a incarné Sandra Paoli, chef de clan corse. Elle revient sur ce rôle marquant, mais évoque aussi le prochain Festival de Cannes, Twitter et sa relation aux séries.
La série Mafiosa vient de s’achever. Comment quitte-t-on Sandra Paoli, la chef de clan que tu incarnais depuis cinq saisons?
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Hélène Fillières – Je ne la quitte pas. Elle m’a énormément construite en tant que femme, en tant que personne, et m’a donné de l’assurance. Je m’habille comme elle désormais. Je crois que j’ai muté, avec elle, en huit ans. Sandra Paoli, c’est un peu mon moi idéal. Classe, dure, mais tendre à l’intérieur. Elle a une froideur pas castratrice. Elle m’a réconciliée avec ma morphologie aussi. Au début de la série, elle était dans l’hystérie, dans la représentation un peu cliché de la femme à poigne. Dans les saisons suivantes, on est allé vers l’épure, vers l’obsession. Elle est devenue plus androgyne en gagnant en grâce, élégance et sensibilité.
Est-on habité différemment par un personnage de série que par un personnage de film?
Très différemment. Mafiosa, c’est huit ans de ma vie. Ça devient vraiment une deuxième identité. D’ailleurs, j’ai trouvé dans cette sériedes questions qui entraient en résonance avec mes préoccupations. Qu’est-ce qu’être une femme dans un monde d’hommes, qu’est-ce qu’être une personne ? Il y a aussi la question de la colère par rapport à la famille, du déchirement par rapport à autrui. Sandra est sans concessions, elle n’a pas trop de coeur. J’aime ça chez elle. Le poids de la famille ne l’écrase pas. Elle a pu tuer son frère, trahir sa nièce.
Tu retournes en Corse?
Très souvent. J’y ai trouvé une famille, choisie, pour le coup. Je m’y sens acceptée, respectée, chez moi. Au début, c’était plus difficile, ils n’aimaient pas la série. La saison 1 était féerique, fabriquée et caricaturale. Ce n’était pas ça, le monde des voyous et ça n’était pas ça, la Corse. Puis ça a changé. Là-bas, j’ai l’impression d’avoir trouvé une identité. Je pense qu’elle n’était pas très définie avant que je joue Sandra Paoli. Dans la rue, ils m’appellent tous Sandra. (rires)
Dans cette ultime saison, Sandra trouve l’amour auprès d’une prostituée de luxe, jouée par Asia Argento. Vous vous connaissiez?
Non. Je la trouvais intéressante commefemme et comme actrice. Borderline, folle et libre. C’est une très bonne idée de nous avoir rapprochées. J’aime son identité féminine : elle a ce corps, très féminin, très musclé et en même temps c’est un soldat. L’identité, la place, sont des sujets qui me travaillent. J’ai trouvé ça compliqué de trouver ma place. Sûrement parce que je viens d’une famille où les femmes sont très femmes. J’ai une mère très femme, très mère, très impressionnante. Quand on est la deuxième fille dans une fratrie, c’est dur de se positionner. Mon travail tourne autour de ça : quel corps, quelle pensée avoir ? Pas d’enfant… Ces questions-là !
Es-tu excitée par le Festival de Cannes?
Les fêtes, tout ça, c’est pas trop mon truc. Cannes est l’occasion de soutenir les gens qui comptent pour moi, le cinéma indépendant. Je fais partie de la famille Wild Bunch. Je suis très contente que Jane Campion soit présidente. C’est une cinéaste majeure. L’annonce du jury m’a réconfortée, il est bien. Pour une fois, il y a plus de femmes que d’hommes. J’y vais pour voir le film de Mathieu Amalric, le Saint Laurent de Bonello aussi. J’étais pour son film plutôt que pour celui de Lespert. Je trouve que c’est un acte fort de la part de Thierry Frémaux de l’avoir pris, le film va être un événement. J’attends le Cronenberg avec Julianne Moore. Je suis une grande fan.
Le film sur DSK d’Abel Ferrara, qui n’a pas été pris à Cannes, sort directement sur le net. Trouves-tu ça bien?
Vincent Maraval, le producteur, peut se le permettre parce que c’est un film financé par les Américains. Il n’est donc pas obligé de le sortir en salle. Aux Etats-Unis, cela existe depuis quelque temps déjà. Il profite du profil subversif du film pour essayer une nouvelle méthodologie qui consiste à ne plus passer par la salle. C’est évidemment l’avenir. Je n’ai pas le fétichisme de la salle. Les règles actuelles de la chronologie des médias datent d’avant internet. Je suis pour que les films sortent en même temps en salle et en VOD. Ceux qui sont contre disent que ça va tuer le cinéma français, ce n’est pas vrai.
As-tu de la curiosité pour ce film?
Enormément. Je trouve intéressant que la fictions’empare très vite de la réalité. Virginia Woolf dit que le meilleur moyen de trouver la vérité, c’est la fiction. C’est sûr. Le fait divers reste opaque. La fiction permet justement de faire fonctionner l’imaginaire et de dire une vérité.
Pour la première fois, et sûrement pour anticiper l’arrivée de Netflix en France, Mafiosa a été disponible en intégralité en VOD. As-tu déjà fait du binge watching?
Un peu, à l’époque d’A la Maison Blanche. Mais depuis, très peu. Je ne suis pas une addict de séries en tant que spectatrice. Justement parce que c’est addictif et que ça m’angoisse. Je crois que les séries contentent aussi l’être humain pour des raisons pathologiques : ça diffère l’angoisse, ça remplit. C’est comme si au lieu de picorer, on pouvait se taper le paquet de chips en entier. Je dis ça et pourtant, je suis très angoissée.
Au fond, les gens qui ont un tempérament addict ne se droguent pas…
Exactement. Moi, le problème, c’estque si je commence, je ne m’envoie pas un, mais quatorze paquets de chips ! (rires) Concernant les séries, j’ai conscience d’être totalement décalée par rapport à mon époque. Mais c’est comme ça. Pendant que j’écris un film, comme maintenant, j’ai aussi du mal à regarder les films des autres. C’est paralysant. J’ai une relation plus apaisée avec les livres.
Qu’as-tu lu récemment?
En finir avec Eddy Bellegueule d’Edouard Louis. J’ai trouvé ça très fort. J’ai beaucoup aimé aussi le Lola Lafon, La petite communiste qui ne souriait jamais.
As-tu un compte Twitter?
Non. Je me sens totalement larguée. Les réseaux sociaux m’angoissent totalement. Je suis pas contre, c’est juste pas pour moi. Phareelle Onoyan, qui joue Carmen, ma nièce dans Mafiosa, me disait que le soir de la diffusion du premier épisode, son portable explosait avec Twitter. Moi j’ai reçu quatre coups de fil, c’était calme. (rires)
Un disque?
Le dernier Daho. J’adore ses textes. La chanson En surface, elle peut me faire pleurer. On s’était rencontrés sur mon premier film, il avait fait la musique. Il travaille vraiment à créer des connexions entre les gens, les oeuvres. C’est un être extrêmement inspiré et créatif. D’ordinaire, je n’aime pas trop les chanteurs « paroliers ». Lui ne dit pas pour dire, il va dans l’intime, dans des choses qui font mal, tout en étant très mélodieux. Quand il chante, on a l’impression qu’il sourit. Bowie me fait le même effet.
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