Trois saisons durant, l’adaptation télévisuelle d’Hannibal dépeint, dans une mise en scène continuellement sublime, l’attraction sans issue entre un psychopathe séducteur et le profileur à ses trousses. A (re) découvrir sur la plateforme de streaming.
Il existe deux grandes interprétations du cannibale inventé par Thomas Harris. L’une est cinématographique : c’est Anthony Hopkins dans la trilogie Le Silence des agneaux (Jonathan Demme, 1991), Hannibal (Ridley Scott, 2001) et Dragon rouge (Brett Ratner, 2002). Et l’autre est télévisuelle : c’est Mads Mikkelsen dans les trois saisons de la série Hannibal, créée par Bryan Fuller et diffusée entre 2013 et 2015 sur NBC, à présent disponible sur Netflix. Si on ne sait les départager, c’est d’une part parce que le génie des deux acteurs y fait jeu égal, mais c’est surtout parce qu’ils ne jouent dans le fond pas la même chose.
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Les crimes et les actes du docteur Lecter d’Anthony Hopkins sont motivés par la recherche d’une descendance. Il est un père ayant un désir d’enfant, une figure d’autorité, un précepteur dont l’objet de désir sera Clarice Starling/Jodie Foster ou Francis Dolarhyde/Ralph Fiennes. Le Hannibal de Mads Mikkelsen n’est pas un père mais un amant, un séducteur dandy. A travers ses meurtres, il se cherche un partenaire. Ce sera Will Graham/Hugh Dancy.
Le premier est un narcisse en puissance, le second incarne l’inverse, aucun ego et trop d’empathie
Hannibal, la série, raconte, sans jamais la nommer ou la figurer, une histoire d’amour impossible entre deux solitudes, celles d’un tueur en série psychopathe et du profileur du FBI qui tente de le capturer. Le premier est un narcisse en puissance, sans aucune empathie tandis que le second incarne l’inverse, aucun ego et trop d’empathie. Si ce don d’empathie fait souffrir Will et le rend émotionnellement instable, il lui permet de se fondre par la pensée dans la peau des tueurs en série, de partager leurs motivations et leurs fantasmes.
Tandis que par le crime, Hannibal mange la chair de ses victimes. L’un pénètre la peau, l’autre ingère la chair. L’un vit ses fantasmes dans le réel, l’autre voit ses rêves contaminés par ceux des autres. Ils sont faits pour être ensemble.
Mais Hannibal est un drame amoureux. Le célèbre psychiatre, touché par ce profileur qui est le seul à pouvoir le voir comme il est, veut convertir Will au mâl(e), il lui compose des scènes de meurtre comme s’il écrivait des poèmes d’amour, tandis que Will, qui ne connaît pas son désir, veut capturer le symbole de son refoulé. Les deux veulent dominer.
Clair-obscur cauchemardesque et chatoyance baroque
Si ce délicieux jeu du chat et de la souris constitue la colonne vertébrale de la série, ce n’est pas sa seule qualité. Dotée de seconds rôles aussi fascinants – Laurence Fishburne en patron du FBI et Gillian Anderson en psychologue d’Hannibal, la série est visuellement sublime : tout en clair-obscur cauchemardesque, en chatoyance baroque, en matière organique et en références artistiques (au surréalisme, au sadisme et au genre de la nature morte, à Botticelli et à Picasso, à Debussy et à Satie).
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Esthétiquement raffinée, Hannibal l’est tout autant dans l’exploration des mécanismes de manipulation entre le profileur et le tueur en série. L’homoérotisme de leur relation atteint son paroxysme dans une scène splendide du dernier épisode de la seconde saison, où il y a enfin pénétration symbolique (d’une lame de couteau) et éjaculation (des litres de sang). Attirés l’un vers l’autre mais ennemis, compatibles et incompatibles à la fois, Hannibal et Will sont comme les amoureux tragiques d’un grand film d’auteur lui aussi disponible sur Netflix, ceux de La Femme d’à côté de François Truffaut avec leur épitaphe “Ni avec toi, ni sans toi.”
Hannibal sur Netflix
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