A l’occasion de la diffusion des nouveaux épisodes de The Affair, retour sur l’origine de la série et le statut d’intellectuel de gauche en Israël de son créateur, Hagai Levi.
Hagai Levi a chamboulé la planète série vers la fin des années 2000 avec la très psy Betipul, adaptée par HBO sous le titre In Treatment, puis dans le monde entier. Emblème du renouveau des créations israéliennes, qu’il continue à produire et réaliser, le quadragénaire a façonné l’année dernière avec Sarah Treem la 100% américaine The Affair. A la clef, une nouvelle réussite pour cette auscultation captivante de l’adultère et des sentiments ambigus, avec l’excellent Dominic West (Mc Nulty dans The Wire) en mari perturbé par l’arrivée d’une autre femme dans sa vie. Au printemps dernier, juste avant le tournage de la deuxième saison entre New York et Montauk, Hagai Levi était de passage au Festival parisien Séries Mania. Rencontre.
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Qu’avez-vous fait depuis la diffusion de In Treatment sur HBO qui s’est terminée en 2010 ?
Havai Levi – En même temps que Betipul (version originale israélienne, NDLR) et In Treatment, j’ai travaillé sur des adaptations dans le monde entier. Avec beaucoup de voyages, de Skype, de mails, c’était comme une petite entreprise de remake… J’ai découvert les cultures étrangères, leurs manières singulières de gérer la psychologie. Au moment où je commençais à travailler sur The Affair, il y a trois ans, j’ai réalisé une mini-série en Israël, Les Maudits, sur des artistes radicaux qui ont vécu dans les années 70 et 80. Des gens qui ne mettaient aucune barrière entre eux-mêmes et leur art. J’ai employé la forme du faux documentaire en utilisant de véritables textes ou déclarations d’époque, en recréant les situations. J’ai tourné en partie avec de vieilles caméras donnant une image de type VHS. J’ai voulu montrer qu’il existait dans notre pays des personnalités atypiques. Et expliquer en quoi la question de l’argent et de sa dictature est maintenant devenue centrale.
Israël a changé d’une manière que vous n’appréciez pas ?
Bien sûr. Dans les années 80, il y a eu Reagan et les blockbusters aux Etats-Unis. En Israël, c’est arrivé également et cela continue. Le fossé entre riches et pauvres est immense aujourd’hui. Il y a beaucoup de cynisme. C’est peut-être pour cela que les gouvernements de droite se succèdent. Mais même les gens qui appartiennent à la gauche, comme moi, nous nous asseyons tranquillement aux terrasses des cafés à Tel Aviv, qui est une bulle, comme n’importe quelle capitale occidentale. A vingt kilomètres de là se joue pourtant une occupation. Nous ne faisons pas grand’chose. Nous allons voter tous les deux ans… Il m’arrive d’écrire un article… J’ai des amis qui vont en Cisjordanie et aident les Palestiniens, mais ils sont peu nombreux. Pour réprimer toute cette culpabilité, nous devenons cyniques. On se contente de chercher la meilleure bouffe possible, de s’asseoir et de manger. Comme dans les derniers jours d’un empire.
Vous n’avez pas pour autant envie de vous installer aux Etats-Unis.
Je vais continuer à passer d’un côté à l’autre. Je n’ai aucune envie de m’installer à Los Angeles. J’ai besoin de continuer à travailler en Israël où ma liberté reste totale : je peux continuer à être expérimental, personnel et local. J’aime écrire en hébreu, à Tel Aviv. Pour moi, la télévision doit venir d’un lieu et d’une culture. Je ne me sens pas capable de faire seul une série aux Etats-Unis, sur un personnage américain. Toutes les grandes créations récentes sont ancrées dans un territoire : le New Jersey pour Les Soprano, New York pour Mad Men, Baltimore pour The Wire… Il faut ressentir les choses de l’intérieur. C’est pourquoi il était naturel pour moi de m’associer à des scénaristes US en créant The Affair. Nous avons écrit le pilote ensemble avec Sarah Treem, une amie de longue date. Je voulais produire la série pour la télévision israélienne mais elle m’a convaincu de la proposer à des chaines américaines, car le thème était universel.
L’idée de faire se succéder le point de vue de l’homme et de la femme était à la base du projet ?
Oui. La seule chose dont j’étais sûr, c’était cela. Je n’avais même pas de personnages ! Tout s’est construit avec Sarah [Treem, co-créatrice de la série]. Pour le pilote, j’ai écrit le point de vue de l’homme et elle celui de la femme. Mais j’ai senti que Sarah devait reprendre en main l’écriture concrète car elle est américaine. Showtime a été enthousiaste dès le pitch, c’était très agréable.
Pourquoi l’adultère vous intéresse-t-il ?
J’ai choisi ce sujet car il évoque l’intimité. Mais il y a plus. Il y a cette idée de trouver la paix en plein conflit moral, comme une quête un peu folle. In Treatment affrontait déjà ces questions. Nous vivons dans un monde post-moderne où il est de plus en plus difficile de vivre des conflits moraux, car tout ou presque est permis. Or, le mariage est toujours ce lieu où le bien et le mal dirigent, où l’idée de construire quelque chose et de le défaire est prégnante. J’ai eu envie d’explorer ce thème en profondeur, non pas comme un gimmick. Dans tous les films et toutes les séries, on parle d’infidélité. Mais comment se passent les choses dans les détails ? Qu’arrive-t-il si un homme qui se considère comme décent, qui ne se voit pas du tout coucher avec une autre femme, se retrouve dans cette situation ? C’était l’idée de base. Plonger dans un conflit moral. Puis comprendre ce que l’on perd quand on surpasse ce conflit…
Il y a aussi un aspect conceptuel dans la superposition des points de vue dans The Affair.
J’ai l’impression que les créateurs choisissent toujours un camp quand ils décrivent une aventure sentimentale. Moi, j’ai voulu ne pas juger et donner à plusieurs personnages l’opportunité de capter notre attention. Je trouvais cette symétrie plus forte, plus dynamique. C’est aussi un fantasme total de savoir ce qu’il y a dans la tête de l’autre, non ? Dans la salle d’écriture de The Affair, tout le monde échange des anecdotes et des expériences personnelles. Nous sommes deux femmes et quatre hommes. Chacun parle de sa vie intime, de son mariage… J’ai appris tellement sur les femmes… Par exemple, j’ai constaté à quel point elle entrent dans les détails quand elles parlent de sexe. Quand je discute avec mes amis mecs d’autre chose que de foot, nous sommes très primitifs. Elles, non. Leur mémoire est plus vive sur les détails. Mais c’est peut-être mon problème personnel. Parfois, je me trouve limité en tant que scénariste à cause de cela. Je suis trop analytique !
Propos recueillis par Olivier Joyard
The Affair saison 2. Sur Canal Plus séries.
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