Série sémillante éclipsée par ses contemporaines, Grey’s Anatomy mérite d’être réexaminée.
Ils nous énervent à Grey’s Anatomy. Ils nous énervent parce que leur secret n’est pas facile à percer : pourquoi c’est bien ? Comment ça marche ? Depuis six ans, on a parfois délaissé la série, pensé qu’on avait décroché, que ça ne valait ni Mad Men ni Breaking Bad, ce qui est vrai.
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Puis, un soir de zapping désoeuvré, une simple piqûre de rappel et nous revoilà à nous en injecter quatre épisodes à la suite un mercredi soir sur TF1. Puis à être au rendez-vous la semaine suivante. Et encore la suivante. Il faut bien se rendre à l’évidence : bien qu’éloignée de la crème des grandes séries “nobles” contemporaines, la création de Shonda Rhimes est redoutablement bien troussée, parvient à arracher aux plus grognons des sourires inattendus, et à faire pleurer les autres au minimum une fois par épisode – faites le test.
Grey’s Anatomy est une machine imparable. Rien à voir pourtant avec l’implacable construction cérébrale de Dr House, ni avec la fluidité douloureuse d’Urgences. Mais déjà, la façon dont Grey’s a réussi à se différencier de cette dernière, tout en étant “sur le papier” exactement la même chose, tient du génie : des médecins et des patients, de l’amour et de la mort.
On y flirte avec le soap toujours avec brio
On y rejoue l’éternelle cohabitation télé du travail et de la vie (West Wing, The Practice, etc.), et cette saison 6 débute avec une nuée de blouses orange qui vient contaminer l’océan de bleu auquel on était habitués : suite à une fusion avec un autre hôpital, le Seattle Grace se repeuple, certaines têtes valsent, d’autres tentent de se faire une place dans le plan, pourtant déjà bien rempli par une dizaine de rôles principaux qui ont le tournis quand ils essaient de se souvenir avec qui ils ont déjà couché.
Oui, les lignes narratives prises à froid pourraient ressembler à une telenovela (Grey’s a d’ailleurs inspiré un soap qui cartonne en Colombie depuis le printemps dernier). Mais ici, si on flirte avec le soap, c’est toujours pour en décoller en une pirouette. Les armadas de scénaristes qui écrivent ça sont des équilibristes.
Entre eau de rose, finesse ou pathétique des comportements et virtuosité des dialogues, Grey’s Anatomy c’est un peu un “chick flick” retaillé en série. Et puisque le genre s’est considérablement raréfié ces dernières années, heureusement que Meredith la névrosée, ses copines et ses problèmes sont là pour étancher notre soif de comédies sentimentales.
Un sentimentalisme contrebalancé par l’humour
La grande force de Grey’s Anatomy, c’est justement d’avoir problématisé le sentimentalisme, d’en avoir fait un enjeu narratif : à part Izzie (le personnage interprété par Katherine Heigl, la seule à être frontalement fleur bleue), tous les autres ont une peur panique du sentimental.
Ils se débattent avec, le rejettent, le questionnent, pour finalement s’y abandonner. Ou pas, comme dans une belle scène de l’épisode 5 où Cristina (géniale Sandra Oh) n’arrive pas à prendre dans ses bras un collègue dévasté par un chagrin d’amour.
Il y a toujours au fond du regard d’un acteur, ou niché dans une ligne de dialogue, un air de dire : “Oh non, je ne vais quand même pas tomber dans le panneau !” Comme s’ils se moquaient d’eux-mêmes, de leurs flirts de midinettes, de leurs médecins trop beaux pour être vrais.
Ils ont l’air de bellâtres de roman-photo à côté du classieux Don Draper de Mad Men ? Ils le savent, et s’en amusent. Leurs histoires sont dérisoires comparées à l’ampleur terrassante de The Wire ? Ils en jouent, conscients de n’avoir que leur légèreté habile à offrir. Et en profitent pour nous voler, quand même, une larme ou deux au passage.
Clélia Cohen
Grey’s Anatomy, saison 5 en rediffusion sur TF1, lun à ven à 17h30 ; saison 6 (inédite en France) en DVD, abc studios, environ 50€.
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