La saison 3 de Gomorra reste fidèle à la veine criminalo-shakespearienne de la série. Mais l’action s’est déplacée dans Naples même, et les mafieux ont maintenant des looks de hipsters.
La fascination que suscite Gomorra ne semble pas décroître avec les années. La série de Roberto Saviano qui, adaptée de son propre roman documentaire, explore les arcanes de la mafia napolitaine, revient en France avec une troisième saison auréolée de son succès transalpin. Le premier épisode a attiré plus d’un million de spectateurs sur Sky Italia en novembre dernier, soit deux fois plus que la saison 7 de Game of Thrones. Des chiffres impressionnants que cette troisième saison, désormais diffusée dans 130 pays, compte bien exporter au-delà des frontières italiennes.
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Quelque part entre enquête sociologique et drame shakespearien, la série nous plonge une nouvelle fois dans les gloires et misères de sombres rois napolitains. De rois, il en est question dès le premier épisode de la troisième saison. La fin de règne pour l’un, l’intronisation pour un autre. Cette nouvelle saison débute plan pour plan là où le finale de la précédente nous avait laissés : dans un cimetière napolitain désert, face au cadavre encore chaud de Don Pietro, le grand chef du clan familial Savastano. Son fils Gennaro s’apprête donc à régner au terme d’une guerre sans merci, qui l’aura amené à commanditer l’assassinat de son père. Shakespearien, on vous dit.
Des hipsters du crime organisé
Mais son règne sera fugace, et c’est là l’un des principaux enjeux de cette nouvelle saison, qui s’intéresse aussi bien à la perte précipitée du pouvoir (au terme d’une énième trahison) qu’à l’obsession de sa reconquête. Ce n’est plus à Scampia ou Secondigliano, les quartiers défavorisés de Naples qui servent de bastion à la Camorra, que se jouera le destin d’une poignée d’affranchis, mais bien cœur de la cité parthénopéenne. Exit les tours labyrinthiques de la périphérie, bienvenue dans le dédale de ruelles du centre historique.
L’occasion de faire la connaissance d’Enzo et de sa bande. Sorte de hipsters du crime organisé, avec leurs barbes impeccables et leurs tatouages en pagaille, ces jeunes criminels à l’ambition démesurée se méfient des dogmes des vieux clans et comptent bien prendre le contrôle du centre de Naples. Des néo-mafieux aussi impitoyables que leurs aînés, qui font écho à une bande bien réelle ayant fait les gros titres de la presse napolitaine ces dernières années.
La série parvient à nous faire reconsidérer l’abjection d’une violence souvent gratuite à sa juste valeur
En plus de montrer la propagation de la criminalité au cœur de la ville, cette troisième saison cherche de nouvelles manières d’illustrer la terreur sanguinaire qu’exerce la Mafia. Après deux saisons plongées dans les sinistres réseaux de la Camorra, le spectateur s’est accoutumé au surgissement abrupt de la violence, qui provoquait jusqu’alors une fascination morbide.
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Par l’entremise d’un personnage de comptable étranger à ce monde impitoyable, la série parvient, en substituant son regard apeuré au nôtre, à nous faire reconsidérer l’abjection d’une violence souvent gratuite à sa juste valeur. L’un des rares personnages féminins à évoluer dans ce monde d’hommes aura cette remarque lucide, qui pourrait résumer à elle seule la facture tragique de la série : “Ici on ne vit pas. Ici on meurt et puis c’est tout.”
Une scène digne du Pickpocket de Bresson
Si cette troisième saison suit peu ou prou la progression des précédentes, à savoir la préparation d’une guerre inévitable lors des huit premiers épisodes et sa résolution barbare dans les quatre qui suivent, la transposition du conflit de la banlieue de Naples à son centre occasionne un renouveau réjouissant de la mise en scène.
Passés maîtres dans la représentation crépusculaire d’une ville rongée par sa criminalité, les réalisateurs Claudio Cupellini et Francesca Comencini montrent l’expansion tentaculaire et insidieuse de la Camorra au cœur de Naples. Une scène de trafic d’héroïne notamment fait référence en la matière. On y suit l’itinéraire parfaitement orchestré de la drogue, passant de main en main, de rue en rue, de planque de fortune en porte dérobée, dans un ballet formel dont la maestria, alliée à la lisibilité, rappelle les scènes de vol à l’arrachée du Pickpocket de Robert Bresson.
Avec cette troisième saison réussie, Gomorra parvient à maintenir son propos en explorant de nouvelles trajectoires. A voir si la série, devenue un phénomène de société en Italie et d’ores et déjà renouvelée pour une quatrième saison, réussira la prouesse de rester à son meilleur niveau sans sombrer dans la redite. On a bon espoir.
Gomorra Saison 3, Canal+
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