Malgré une vraie intelligence, la série labellisée féministe « Glow » souffre d’un excès de conformisme.
A première vue, Glow (acronyme de « Gorgeous Ladies Of Wrestling » un groupe de femmes faisant du catch télévisé) s’annonçait comme une grande série traitant du féminin avec une équipe de rêve. Les showunneuses, Liz Flahive et Carly Mensch viennent de Nurse Jackie et en tant que productrice- marraine la fée- Jenji Kohan (Orange is the New Black), allait envoyer du lourd. Mais en voulant plaire à tout le monde, la série se prend d’abord les pieds dans le tapis en livrant une version édulcorée de ce groupe de femmes, avant de remonter sur le ring dans les derniers épisodes.
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Une charte féministe et intersectionelle
On imagine dans la salle d’écriture de Glow, un grand tableau où toutes les bonnes idées seraient notées : présenter une héroïne complexe et imparfaite (Ruth, actrice rêvant à de grands rôles dramatiques, jouée par Alison Brie), faire d’un duo traversant une impasse non pas un couple amoureux mais deux meilleures amies, montrer des seins mais dans une situation non sexuelle, parler de la synchronisation des règles des femmes vivant en groupe… Effectivement, après les dix épisodes de la première saison, on ne peut qu’applaudir les efforts pour faire de Glow une bonne élève qui coche toutes les cases d’une imaginaire charte « série féministe ». En mettant en scène un groupe de femmes hétéroclites, qui parviennent à une forme de sororité en s’émancipant, la série livre un message positif avec une représentation inclusive de personnages féminins d’âges et de corpulences différentes, tout en intégrant un discours autour des femmes racisées et des obstacles qui leurs sont propres.
Dans l’épisode 3, alors que chacune doit choisir son personnage pour le ring, Arthie accepte sur les conseils du réalisateur et du producteur de se transformer en « Beirut the Mad Bomber », un costume la faisant passer pour une violente terroriste, Tammé, elle, devient « The Welfare Queen », la reine des allocs. La série a une conscience aigüe de la puissance des stéréotypes et nous en montre la fabrication mais aussi leurs conséquences. Lors de son premier show, « Beirut the Mad Bomber » recevra en pleine face la haine et le racisme des spectateurs, son costume ne créant pas assez de distance pour l’épargner. En cela, la série propose une réflexion puissante autour du masque, de ses pouvoirs et de ses limites. Le catch étant le sport-spectacle incarnant l’idée de performance.
Esthétique porn ou féministe ?
Cependant, l’articulation de certaines de ces pensées politiques s’arrête parfois à leurs énonciations et ne se traduisent pas dans la mise en scène. Par exemple, dans une scène de sexe entre le réalisateur, Sam Sylvia, et une des jolies catcheuses (dont le surnom est Brittanica car elle anglaise et a l’air intelligente !), on comprend que le personnage féminin a ses règles. Alors qu’elle se lève pour aller prendre une douche après le rapport, il regarde sous la couette et lui crie pour rigoler : « On dirait une scène de crime là-dessous. Je te retirerai le prix des draps de ta paie ! » La série évoque donc les menstrues mais le sang lui reste bien caché, comme si la caméra ressentait le même dégoût que l’homme.
Britannica, une rousse plantureuse, revient dans la pièce avec une serviette autour de son corps et tourne son dos à la caméra pour mettre son soutien-gorge. Chose étonnante car elle était seins nus quelques épisodes plus tôt quand elle se changeait devant sa colocataire qui, gênée et fascinée, lui demandait comment ils tenaient si haut. La caméra filmait les seins de Britannica comme l’objet de désir ultime. Dans une scène d’amitié, les seins revêtent une dimension érotique, mais dans une scène de sexe ils doivent disparaître. Du coup, on se demande si la série suit les codes visuels pornographiques, qui montrent que des poitrines à la plastique parfaite en les sexualisant, ou si elle brouille les pistes en choisissant de dévoiler des corps à des moments impromptus. Comme le rappelle le réalisateur Sam à un directeur de chaîne, sa série sur le catch permet de réunir la famille autour du téléviseur : « C’est comme du porno qu’on peut mater avec ses enfants. »
Tout est K.O [Spoilers]
Glow est une série intelligente et ambiguë : elle a en même temps une hyper conscience de ce qu’elle raconte… mais ne peut pas s’empêcher de lorgner du côté du male gaze en sexualisant gratuitement certaines de ses héroïnes, celles dont le corps correspond à norme standardisée de beauté. La casquette féministe de la série en prend forcément un coup. L’universitaire Noël Burch dans son article « Double Speak. De l’ambiguïté tendancielle du cinéma hollywoodien » s’interrogeait : « Au cœur de l’ambiguïté du cinéma américain n’y a-t-il pas précisément sa capacité exceptionnelle à rendre séduisant ce qu’en apparence il condamne ? À courtiser les opprimés en même temps qu’il donne raison à ce qui les opprime ? » Glow donne ce sentiment diffus de vouloir plaire à tout le monde : être politique sans froisser les classes dominantes, être féministe mais sans être radical, être sexy mais pas trop.
Une séquence finit par nous rabibocher avec la série à l’épisode 8 où chaque mot et chaque geste semblent avoir été réfléchis. [Attention Spoiler] Lorsque Ruth se fait accompagner par Sam le réalisateur à la clinique pour avorter, la série s’envole vers la dimension qui lui manquait jusqu’à maintenant. La décision n’est pas banalisée mais elle n’est en aucun cas dramatisée. Nous sommes avec l’héroïne, nous vivons l’expérience à travers ses yeux. Sam n’est plus là pour élever son actrice pour sa propre gloire, il est simplement à ses côtés, refusant de la quitter. Ni un rôle de père, ni un rôle de mari, ni un rôle d’amant, une masculinité toute autre qui se construit dans la tendresse et l’altérité. Un coach qui veut prendre soin de son athlète. C’est sûrement la première fois qu’il la voit comme telle. Ruth le sait. Alors qu’elle est allongée, la médecin décrit les étapes du début de l’opération : « Je vais vous faire une piqûre près du col de l’utérus, ça va l’anesthésier, et on commencera la procédure. Maintenant vous allez sentir une légère pression. » Elle lui demande alors : « Est-ce que tout ça fait sens ? » Ruth répond en chuchotant : « Je suis une catcheuse. » La réplique éclaire enfin l’ambition de la série. Son expérience sur le ring lui a donné un pouvoir et une capacité d’agir qu’elle ne soupçonnait pas auparavant. Roland Barthes dans Mythologies nous rappelait que : « Le geste du catcheur n’a besoin d’aucune fabulation, d’aucun décor, en un mot d’aucun transfert pour paraître vrai. » C’est peut-être l’authenticité de la phrase de Ruth qui nous met K.O. Ce sentiment d’avoir approché la vérité de son personnage. Fin de match.
https://www.youtube.com/watch?v=-C9z9F4tzCc
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