Combien de séries post-MeToo, post-BlackLivesMatter peuvent se vanter de représenter la diversité d’un lycée américain de façon aussi exhaustive et réaliste que “Glee” ?
Peu de séries ont provoqué autant de sentiments contradictoires que Glee. Révolutionnaire, inclusive, réaliste, drôle, touchante, mais aussi répétitive, problématique et invraisemblable la série musicale était un peu de tout ça à la fois. Dix ans après la diffusion de son premier épisode, la série, nouvellement disponible sur Netflix, n’a pas beaucoup bougé. Côté pile, les multiples demandes en mariage entre adolescent·es, hospitalisations et plans machiavéliques de Sue sont toujours aussi énervants. Côté face, son message LGBT-friendly et féministe est toujours autant d’actualité.
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La revanche des invisibles
Avant Glee, les séries ados, c’était Newport Beach et Les Frères Scott, une célébration des corps minces, blancs et valides dans lesquels vivaient des âmes cis et hétéros. Glee fut la première série à faire de la diversité un mot d’ordre. Le “Glee club” comptait en son sein une diva de la soul grosse, une gothique asiatique, un badboy juif, une cheerleader latina lesbienne, un blondinet dont la famille a été mise à la rue et j’en passe. Cochage de cases ? Un peu, mais la série de Ryan Murphy prenait la diversité au sérieux. Avec ses épisodes centrés sur les obstacles rencontrés par Artie, un nerd en chaise roulante, Becky, une mean girl trisomique qui rêve de sexe et romance, ou Kurt, un ado gay passionné de mode, Glee éduquait, Glee montrait qu’il existait de la beauté dans la différence, Glee donnait de la force à son public de “misfits”.
Pourtant, déjà à l’époque, ce constat positif était accompagné de critiques. Seuls les personnages blancs, minces et valides de Rachel, Kurt et Finn avaient le droit à un traitement de qualité. Malgré sa voix magnifique, la diva noire Mercedes n’avait quasiment jamais de solo, la gothique asiatique Tina était traitée avec superficialité et Artie avec un “valid gaze” dérangeant (pourquoi fallait-il qu’il soit joué par un acteur valide et qu’il se mette à danser dans ses rêves ?). La série était bien consciente de ce biais, comme le prouvaient les nombreux pics et reproches que Mercedes, Santana et Sue Sylvester adressaient au bienveillant responsable de la chorale William Schuester au cours de la série, mais rien n’a été fait pour le corriger.
Des filles et femmes ambitieuses
S’il faut reconnaître quelque chose à cette série créée par trois hommes blancs valides, c’est son effort pour créer des personnages féminins complexes, talentueux et sûrs d’eux – quitte à les faire ressembler à des castratrices manipulatrices hystériques. Sue Sylvester voulait devenir principale à la place du principal, Quinn faire de belles études, Rachel être une star de Broadway, Santana une célébrité et Mercedes une diva de la soul. A l’inverse, les garçons et les hommes – à l’exception de Kurt – n’avaient ni vrai talent ni vraie ambition. Leur qualité première était qu’ils faisaient preuve de bienveillance. Initialement machos et/ou sexistes, ils ont appris à respecter les femmes, à ouvrir les yeux sur le sexisme et à soutenir leurs amies. Finn, notamment, était prêt à sacrifier son bonheur pour que sa petite amie Rachel réussisse. A tel point que Glee donne parfois l’impression d’être un “gender swap” de l’expression “derrière chaque grand homme se cache une femme”.
La série abordait régulièrement le sujet des violences faites aux femmes. Dans plusieurs épisodes de la saison 3, la série dénonçait, avec un sérieux inhabituel, les violences conjugales et l’égoïste Sue Sylvester dévoilait sa capacité à faire preuve de sororité en soutenant une victime. Souvent, la série abordait les diktats de la beauté.
Le rapport au corps disséqué
Dans Glee, tout le monde doute de sa beauté, de son corps, surtout les ados auxquel·les on ne s’attendait pas. La parfaite Américaine Quinn s’est fait refaire le nez, le beau-gosse Sam était obsédé par sa masse musculaire, la gentille Marley était en proie à des troubles alimentaires, le quaterback Finn avait honte de ses poignées d’amour. Garçons comme filles souffrent des attentes sexistes de la société. Finalement, ce sont les personnages aux beautés atypiques, ceux qui ont décidé de ne pas jouer le jeu, qui sont le mieux dans leurs baskets. Dans Glee, être grosse ou sapé comme un Amish est peut-être une source de harcèlement mais cela n’empêche pas de vivre sa meilleure vie. Mercedes devient cheerleader et populaire (mais quitta les Cheerios qu’elle trouve méchantes), Lauren, apprentie Beth Ditto fière de sa sexualité, fit tourner la tête du womenizer Puck et Artie sortit avec un gros tiers des filles du Glee Club (on a compté). Là encore la série a ses limites : quel dommage d’avoir choisi des acteurs et actrices bien plus près des 25 ans que des 16 ans pour jouer des ados…
LGBT et plus
Mais si Glee est considérée comme révolutionnaire, c’est qu’elle était la première série pour ados à avoir plusieurs personnages principaux LGBTQ +. Si la série passe du temps à parler de la difficulté à grandir LGBTQ + dans un monde homophobe, elle a surtout montré que les gays, lesbiennes, bis et trans pouvaient être heureux, vivre de belles histoires d’amour, être aimé·es par leurs parents et avoir des vies sociales épanouies. Glee aimait jouer des clichés, faisant notamment de la butch Sue Sylvester une hétéro et de la féminine Santana une lesbienne. Mais cela n’a pas empêché les personnages principaux de Kurt et Blaine d’être des stéréotypes de gays modeux propres sur eux fascinés par les divas de la pop et de Broadway. Dès la saison 3, la série introduit des personnages LGBTQ + moins clichés, comme Unique, une jeune femme en transition, Coach Beast, un homme trans, ou encore le “post-modern gay” Spencer, quaterback out et virile, qui ont permis de pousser plus loin la discussion sur le genre et la binarité.
Avec tant de personnages LGBTQ +, la série a pu mettre sur scène différentes façons d’être LGBTQ +, faisant à la fois le portrait de gays et trans fièr·es et militant·es, d’un gay dans le placard qui se déteste, et de personnes LGBTQ + qui se fichent bien d’appartenir à une “communauté”. Glee a pu discuter de sujets sensibles, comme l’importance et le risque de “s’afficher gay”, le droit à des toilettes unisexes et les comportements problématiques de certaines personnes LGBTQ +.
Dix ans plus tard, le manque de relations physiques entre les personnages queers déçoit un peu, mais la série reste toujours une des séries grand public à avoir le mieux représenté la réalité de la jeunesse LGBTQ +.
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