Pour s’installer dans le temps, la série doit faire un choix difficile : accepter de faire vieillir ses girls.
« J’ai déjà tout réglé !” Comme souvent avec les répliques faussement banales de Girls, cette phrase prononcée avec fureur par la jolie Marnie dans le premier épisode de la saison 3, plusieurs semaines après une rupture, contient une forme d’énigme à méditer. Le spectateur se demande si elle est vraie ou fausse, en penchant pour la seconde solution sans en être totalement convaincu. Cette ambiguïté résume une bonne part de la problématique d’une série quittée l’année dernière en pleine crise. A la fin de la saison 2 de Girls, l’héroïne Hannah (Lena Dunham) touchait le fond de la piscine. La résurgence de TOC enfouis depuis l’adolescence l’avait forcée à appeler au secours Adam, son boyfriend plus ou moins récurrent à la voix grave et aux manières rustres.
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Dans les deux premiers épisodes de la cuvée 2014, le temps semble avoir appliqué son baume. Bien sûr, Hannah gobe des pilules et va chez le psy, elle n’est pas sûre d’aimer ses cheveux et risque à tout moment la régression, surtout quand une ex d’Adam et sa copine agressive (incroyable Amy Schumer) lui mettent des bâtons dans les roues. Pourtant, elle mène désormais une vie conjugale made in Brooklyn plutôt classique. Cela durera-t-il ? On l’ignore. Elle parvient néanmoins à écrire quelques phrases à la suite sans se fourrer brutalement des Coton-Tige dans les oreilles. “Pourquoi tu ne m’as pas dit que tu souffrais de maladie mentale ?, lui demande l’éditeur de son e-book, on pourrait en faire quelque chose.” Justement, non. Comme si elle anticipait les haters prêts à sortir du bois pour lui intenter tous les procès de la terre en égocentrisme (et alors ?), Girls affirme sa totale liberté, sa capacité à changer de ton en un battement de cils.
Elle refuse de capitaliser sur ce qui avait été brièvement érigé en socle de la fiction et se pose avec cette nouvelle saison un problème inédit. Ce problème n’est pas tant celui du changement radical : la série restera probablement jusqu’à son dernier souffle une ode bavarde à des êtres humains retors, perdus dans la jungle sociale, rongés par le manque d’estime de soi. Le défi que Girls doit affronter aujourd’hui est celui, plus nuancé, de la maturité. Hannah, Marnie, Shoshanna et Jessa sont encore loin de rejoindre les préoccupations de leurs aînées trentenaires et friquées de Sex and the City. On doute que ce soit le cas un jour, mais elles traversent malgré tout un moment de mue. Ce qu’on appelle grossièrement la réussite – un travail épanouissant, une vie affective cool – ne leur paraît toujours pas accessible. Désirable ? Ce n’est pas certain.
L’angoisse de ces jeunes femmes qui vieillissent subtilement s’incarne désormais autour d’une alternative en forme de précipice : grandir un peu ou décider de ne jamais grandir. Ce genre de question, Girls s’apprête à l’affronter dans sa chair même. Ultrasoutenue par la chaîne HBO, qui a commandé une saison 4 avant le début de la diffusion de la troisième, elle doit apprendre à dépasser son statut mérité de phénomène pour s’inscrire dans la durée et inventer le roman de l’époque dont on se souviendra dans dix ans. Un défi à la hauteur de Lena Dunham.
Girls saison 3, le lundi sur OCS City
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