La seconde saison de la série créée par Steven Soderbergh est l’un des objets télévisuels les plus singuliers et passionnants qu’il vous sera donné de voir cette année. On vous explique pourquoi.
Après une première saison réussie portée par une excellente Riley Keough, Steven Soderbergh, créateur du show, et ses deux réalisateurs, les indé Amy Seimetz et Lodge Kerrigan, s’en affranchissent et vont dans cette seconde saison beaucoup plus loin. Gardant simplement la figure de prostituée de luxe et une certaine esthétique, ils ont presque tout changé ; casting, format et structure.
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Une série scindée en deux récits indépendants
Découpée en deux parties indépendantes et bénéficiant chacune d’un sous-titre correspondant aux personnages féminins qui les porte, cette seconde saison est composée de deux fois sept épisodes d’environ 28 minutes chacun. La première, Erica et Anna, se déroule à Washington D.C.. On y suit Erica, directrice du fond de soutien des Républicains. A l’approche des élections de mi-mandat, il y est question de manipulations et de magouilles politiques permises grâce à l’entremise d’Anna, une escort girl utilisée par Erica pour arriver à ses fins. La seconde, intitulée Bria, se déplace au Nouveau Mexique dans la peau d’une autre escort placée sous le programme de protection des témoins après avoir accepté de coopérer avec la justice pour faire tomber un parrain de la drogue. L’excellent casting est composé d’Anna Friel en politicienne machiavélique, de Louisa Krause dans le rôle de la première prostituée, de Carmen Ejgogo dans celui de la seconde et d’Harmony Korine en surprenant gourou/amant platonique du second récit.
Deux esthétiques sublimes et bien distinctes
Alors que dans la première saison, Amy Seimetz et Lodge Kerrigan réalisaient les épisodes à tour de rôle, les réalisateurs ont ici dirigé chacun une partie. Erica et Anna, la première partie de sept premiers épisodes réalisés par Lodge Kerrigan, se place dans le même décorum que la saison une. On y retrouve ces hôtels de luxe au design glacial et dépouillé, ces buildings déserts et cette lumière blafarde. Encore plus que dans la saison une, le monde semble s’être transformé en une étrange clinique enfermée sous une chape de plomb, une morgue stérilisée de toute organicité. Pas un bout de ciel bleu, pas un rayon de soleil, pas une goutte de sécrétion humaine ne viennent perturber cet univers inerte, austère et lyophilisé.
Bria, la deuxième partie de la saison réalisée cette fois par Amy Seimetz, rompt avec cette esthétique. Les robes de couturier y prennent des couleurs, un soleil écrasant les nimbe le jour tandis que des néons aux teintes bigarrées les illuminent la nuit. La froideur urbaine et l’extrême richesse de la capitale politique a été remplacée par l’imposante chaleur des paysages désertiques et montagneux de cette région plus pauvre du sud des Etats-Unis. Alors que Kerrigan joue sur un style d’une extrême aridité, la réalisatrice s’autorise une texture plus vaporeuse, soulignée par une bande-son nébuleuse. Les deux esthétiques se répondent et dialoguent entre elles, comme en atteste l’utilisation des tableaux de grands peintres dans chacune des deux parties. Obéissant à un principe d’inversion, l’esthétique stérile de Erica et Anna est contrebalancée par les oeuvres charnelles d’Egon Schiele et de Francis Bacon tandis que Bria est décoré des peintures minérales et ténébreuses de Pierre Soulage.
Sexe, mensonges et vidéo
S’il est évidemment question de sexe dans cette deuxième saison, la série a atteint un degré de sophistication et une ampleur supérieure au premier exercice. Alors qu’on pouvait éventuellement reprocher à la première saison de trop se reposer sur des scènes de sexe manquant quelquefois de pertinence scénaristique, chacun des rapports sexuels participe ici à l’édification d’un passionnant discours sur les rapports de pouvoir et de désir. Au travers de longs plans à l’érotisme mâtiné des codes du porno, la série nous dévoile un monde où le sexe et ses produits dérivés (sex-tape, vices, libido contrariée et jouissance donnée ou reçue) est une arme de pouvoir. Mais sous cette instrumentalisation du sexe à des fins de manipulation, The Girlfriend Experience n’oublie pourtant pas de montrer qu’il est aussi une affaire de pulsion, de sentiment et d’instinct. Complexe, elle ne se limite pas à son propos féministe, elle va plus loin dans l’analyse d’une société où chacun ne sait s’il est proie ou prédateur du désir de l’autre.
Une seconde saison d’une folle radicalité
La carrière de Soderbergh à la télévision est caractérisée par une démarche auteuriste remarquable de singularité et d’absence de concessions. Sa géniale série The Knick (2014-2015) est sans doute l’un des shows les plus maitrisés par son créateur puisqu’il en était à la fois le réalisateur, le directeur de la photo, le cadreur, le monteur et le producteur. Etendant ce principe de maîtrise à ces deux acolytes, il forme avec Amy Seimetz et Lodge Kerrigan un trio faisant preuve d’une fascinante radicalité. Les deux réalisateurs ont eu droit au director’s cut mais ont également participé à l’écriture du scénario, à la production et au montage. Il en ressort une série à la narration audacieuse, obéissant à un mystérieux principe d’effeuillage, une série dont la structure, la singularité de ton et d’esthétique détonnent dans le paysage actuel. Ses partis pris de mise en scène forts nous décrivent un univers où l’omniprésence des écrans (de surveillance) et la dureté des rapports finissent par dresser une cartographie désenchantée des Etats-Unis d’aujourd’hui.
Dès le lundi 13 novembre 2017 à 22:05 sur OCS
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