The Get Down et maintenant Sense8… Netflix opère une saignée en arrêtant deux de ses séries phares. Un crève-cœur pour les fans et une conversion au petit écran mise à mal pour les cinéastes. Mais la plateforme de vidéo à la demande coupe court à deux séries très coûteuses pour renouveler ses productions.
Les fans n’auront pas le fin mot de l’histoire. Moins d’un mois après la diffusion de la saison 2, Netflix annonce l’arrêt de la série Sense8. Une oeuvre-manifeste pour la diversité, composée notamment par les sœurs Lana et Lilly Wachowski, le duo derrière Matrix et Cloud Atlas. “Après 23 épisodes, 16 villes et 13 pays, l’histoire du groupe de Sense8 prend fin, déclare Cindy Holland, vice-présidente des contenus originaux Netflix. La série est tout ce que les fans et nous-mêmes rêvions : audacieuse, étourdissante, agressive et franchement inoubliable.”
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Thank you for being a part of our journey. Sensates forever. pic.twitter.com/SClwiY3rwy
— Sense8 (@sense8) 1 juin 2017
Sale temps pour la diversité ?
Encore en pleine promotion de la deuxième saison, le compte Twitter de la série rend hommage à ses huit personnages principaux : des inconnus répartis sur le globe soudainement liés entre eux par la pensée puis pourchassés pour ces pouvoirs. Sense8 est devenue un récit d’émancipation face aux institutions, faisant écho à la lutte des personnes LGBTQI ou contre l’ethnocentrisme. « Il n’y a jamais eu de série véritablement et autant globale, avec un casting et une équipe aussi diverse que multinationale”, salue Cindy Holland.
Sur Internet aussi, les fans de la série rendent hommage à son discours humaniste. « Elle n’est pas simplement une série télévisée, à regarder pour se divertir, Sense8 a donné au monde une nouvelle façon de voir les autres : avec acceptation, amour et compréhension », peut-on lire dans une pétition signée par plus de 240 000 personnes en l’espace d’une journée. Elles demandent la troisième saison du programme, qui s’arrête sur un cliffhanger. Pour les fans français, la déception est redoublée : le déménagement à Paris de l’un des personnages pouvait faire croire à un tournage en France du casting complet.
Mais selon Alain Carrazé, auteur des Nouveaux Feuilletonistes (éditions Fantask) et spécialiste des séries télévisées, ce n’est pas le sujet de Sense8 ou The Get Down qui a entraîné leur fin :
“Ce ne sont pas les seules représentations de la diversité à la télévision. Elle est montrée sans aucun problèmes dans d’autres séries comme Racines. Rien qu’en France pour les LGBT, il y a la web-série Les Engagés et dont c’est le sujet principal.”
Deux séries très coûteuses
L’interprète de Will Gorski (le policier de Sense8), Brian J. Smith, a réagi à cette levée de bouclier sur Twitter : « Vous accomplissez tous un travail incroyable. Nous vous entendons et c’est très touchant. Mais il n’y a pas assez de personnes qui ont regardé la série et la production coûte cher. »
You all are putting up an incredible fight. We hear you and it’s so moving. But not enough people watched the show and it’s $$$ to produce. https://t.co/FXUvlQFzBc
— Brian J. Smith (@BrianJacobSmith) 2 juin 2017
Une hypothèse aussi probable pour The Get Down, dont l’annulation fut annoncée juste une semaine avant Sense8. Cette autre production Netflix du cinéaste Baz Luhrmann n’aura pas de saison 2. Avec cette série musicale racontant les débuts du hip-hop dans le Bronx, la plateforme de vidéo à la demande a vu les choses en grand. Selon Variety, le budget pour les douze premiers épisodes s’élevait au moins à 120 millions de dollars.
Pourtant, Baz Luhrmann, explique sur sa page Facebook que ni les coûts ni les retards de production ne sont la cause de son annulation :
“La vérité simple est que je fais des films. Et ce qu’il faut comprendre avec les films c’est que, lorsque vous les dirigez, il ne peut y avoir rien d’autre dans votre vie. En fait, depuis que The Get Down s’est arrêté, j’ai passé les derniers mois à préparer mon nouveau travail cinématographique…”
Politique de la terre brûlée à Netflix
La liste des programmes arrêtés par la plateforme de streaming ne s’arrête pas là : Bloodline, Hemlock Grove, Lilyhammer, Marco Polo… Le fondateur et PDG de Netflix, Reed Hastings, ne semble pas vouloir revoir ses exigences. Pour Netflix, la création de nouvelles séries est vitale afin d’attirer de nouveaux abonnés. Dans un entretien avec la chaîne américaine CNBC, Reed Hastings insiste : “Je mets toujours la pression sur l’équipe qui gère les contenus : nous devons prendre plus de risques, essayer davantage de choses dingues. Et nous devrions avoir un ratio d’annulations plus élevé globalement. »
Alain Carrazé explique plus abruptement la logique derrière tout ça : faire du buzz.
“Netflix est un réseau complètement opaque. Il ne donnent pas leurs audiences ou de détails sur la production. Quand ils arrêtent une série, on n’en sait pas plus. Même s’ils ne le disent pas, à chaque fois qu’ils lancent une série, c’est pour deux saisons, afin de renouveler leurs productions. Netflix ne demande pas qu’une série fasse de l’audience, elle demande qu’elle fasse du buzz.”
La projection à Cannes de la série Twin Peaks de David Lynch laissait espérer que les séries allaient devenir un nouveau terrain de jeu durable pour les réalisateurs venus du cinéma. Avec les arrêts consécutifs de The Get Down et Sense8, c’est un coup dur porté au décloisonnement des deux genres. Mais c’est loin d’être la fin du dialogue pour Alain Carrazé : « Cela fait cinquante ans que des réalisateurs de cinéma font des séries, même s’ils sont moins médiatisés. Certains se plantent dans l’exercice, oui, mais ça n’empêchera pas d’autres d’en faire. Et les séries ne sont pas devenues bonnes parce que les réalisateurs de cinéma en font. » De quoi relativiser, après tout, l’arrêt des deux séries Netflix.
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