Adaptation de l’oeuvre de George R.R. Martin, la série télé “Le Trône de fer” fait un carton aux états-Unis comme en France. Une première pour une série fantasy, pimentée il est vrai de violence et de sexe. Un extrait du Hors série « Fantasy, l’origine des mondes », en kiosque dès aujourd’hui.
La fantasy a longtemps eu mauvaise réputation côté séries télé. Au mieux, le genre était jugé mineur, au pire kitsch, avec des titres oscillant entre ces deux pôles comme Hercule, Xena, la guerrière ou Legend of the Seeker : L’épée de vérité – incidemment produits tous trois comme des récréations par Sam Raimi avant et après ses Spider-Man. Premier ou quatorzième degré, effets spéciaux approximatifs : la magie ne prend pas. Ou alors, ce ne serait que pour les enfants (la version BBC de Merlin, sur les jeunes années du magicien, façon Superman dans la série Smallville). Même lorsqu’il s’agit d’adapter les oeuvres clés du genre (le cycle de Terremer d’Ursula K. Le Guin ou Les Annales du Disque-monde de Terry Pratchett), cela donne des mini-séries ou des téléfilms pour s’ennuyer gentiment devant le poste pendant les vacances de Noël.
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Le Trône de fer, le phénomène
Et vint Le Trône de fer (Game of Thrones en VO) en avril 2011 sur la chaîne HBO. Les spectateurs ne connaissant rien des livres d’origine (la saga du Trône de fer de George R.R. Martin commencée en 1991) n’étaient pas préparés à ce qu’ils allaient voir. Ni même les lecteurs en fait. Créée par David Benioff (scénariste du néo-péplum Troie, celui avec Brad Pitt en Achille) et D.B. Weiss, avec la collaboration de Martin, la série expose les luttes de pouvoir entre diverses familles royales pour conquérir ledit Trône de fer, symbole absolu pour régner sur le royaume des Sept Couronnes. D’un côté, les loyaux et droits (et donc un peu ennuyeux) Stark, de l’autre, les très décadents (donc très amusants) Lannister et, un peu plus loin, par-delà les mers, les déchus Targaryen réfugiés chez les menaçants Dothraki, équivalent local des Huns.
http://www.youtube.com/watch?v=8ixEWrTLiZg
La série conquiert le public et rend d’un coup la fantasy hype par ses intrigues de cour tortueuses, sa violence jamais édulcorée. On y torture (avec des rats) et décapite franchement (le mode d’exécution officiel), ce qui porte la moyenne de morts par épisode à quatorze victimes selon les calculs. Le générique animé, qui cartographie les royaumes, est parodié, cité dans Les Simpson. Reconnaissance ultime dans la culture populaire, donc. Le parler dothraki, soigneusement mis en forme par un linguiste, est devenu l’un des langages fictifs les plus populaires après le klingon de Star Trek. L’expression “game of thrones” est même utilisée maintenant dans les médias américains pour désigner toute bataille politique épineuse, de la réforme de santé US à la guerre civile en Syrie. Une réplique, inoffensive dans la bouche de générations de Miss Météo de Canal +, devient elle culte et un meme internet : “L’hiver arrive” (dans un monde où les saisons peuvent durer neuf ans).
Une bonne dose de sexe
S’il est conseillé de sortir couvert dans Le Trône de fer, c’est la surenchère de nudité et de sexe, déjà présente dans les livres, qui “réconcilie” ceux qui trouvent le genre naïf et/ou ultra-pompier avec la fantasy. Sexe consentant, pas consentant, plus ou moins consentant, incestueux : la gamme est large, dans les limites de ce qu’une chaîne du câble peut montrer, et sans s’aventurer en terrain gay. Aaron Sorkin avait inventé le “walk & talk” dans A la Maison Blanche, soit causer politique en marchant dans des couloirs. Le pilote du Trône de fer balance lui la “sexposition”, où l’on disserte sur le pouvoir et la guerre au milieu de femmes topless.
La technique n’est pas inconnue – le péplum dégénéré Caligula de Tinto Brass (1979) envoyait déjà des acteurs anglais shakespeariens au lupanar. Elle est devenue le noeud du Trône de fer selon ses détracteurs, au point d’occulter le reste. Une fantasy décalée La série a du succès parce qu’elle ne ressemble pas, de prime abord, à de la fantasy. Il y a dans Le Trône de fer une pesanteur des enjeux, du ton (que faire avec le pouvoir ?, le pire), qui doit autant à la fantasy qu’aux séries historiques du câble. Où le passé est synonyme de stupre (Rome, Les Tudors). La série, via les livres, a même des influences françaises puisque George R.R. Martin cite comme inspiration la saga des Rois maudits par Maurice Druon.
Les scénarios, habiles, ne laissent aucun personnage à l’abri d’une mort soudaine ou d’une infortune qui peut les faire tomber de très haut (parfois au sens littéral). L’atour, sinon l’atout, principal du Trône de fer est de pratiquer une fantasy low cost : les monstres y sont des légendes (ou morts, comme ce loup géant dans le pilote), la magie est très rare tandis que c’est l’épisode final de la première saison qui nous rappelle, de façon presque modeste, que la série se déroule ailleurs et non pendant la guerre de Cent Ans. Tout le monde s’y retrouve : budget moindre, crédibilité en plus.
“L’univers du Trône de fer ne donne pas l’impression d’un autre monde mais de raccrocher à des émotions ou des comportements plus ‘réels’, explique Stéphane Marsan, directeur littéraire de l’éditeur français de fantasy Bragelonne. Le lecteur/ spectateur de base n’est pas perdu, et quand arrivent des dragons, c’est trop tard pour lui parce qu’il a déjà été captivé par une bonne histoire.”
De fait, pitché par ses créateurs comme un “Soprano dans la Terre du Milieu”, Le Trône de fer penche vers la dissection de sociétés/clans patriarcaux (comme Mad Men) aux règles très rigides. Où les femmes seraient des utilités – ici objets ou mères porteuses pour prolonger une lignée royale.
De la luxure et un nain
La série va-t-elle trop loin dans cette direction ? La débauche atteint de nouveaux sommets dans la saison 2 avec, selon ses détracteurs, trop de sexe qui ne ferait pas avancer l’action. Les scripts font aussi une large part à Littlefinger, tenancier de bordel comploteur dont activités et employées sont détaillées de long en large. Où les ébats des clients sont épiés par d’autres clients, eux-mêmes espionnés par le propriétaire des lieux. Comme si l’exploitation sexuelle était la seule affaire rentable dans le monde du Trône de fer. Heureusement, des femmes de tête et de poigne y émergent : la rouée reine Cersei Lannister, prête à tout pour garder le pouvoir (“Les larmes ne sont pas la seule arme d’une femme. La meilleure est celle entre ses jambes”). Daenerys, frêle princesse offerte comme une marchandise aux Dothraki, mais qui va s’affirmer en cheftaine aussi maîtresse de sa sexualité. Yara Greyjoy, guerrière élevée par son père comme un garçon. Ou Shae, prostituée romantique.
Shae est la favorite de Tyrion Lannister, frère de Cersei et personnage de plus en plus central au fil des épisodes. Son originalité ? C’est un nain, mais pas de foire ou pour amuser la galerie. Remarquablement interprété par Peter Dinklage (très justement récompensé par un Emmy Award), Tyrion fait oublier ceux, barbus folkloriques ronchons, aperçus dans Le Seigneur des Anneaux de Peter Jackson. Tyrion est un bon vivant, client effréné de prostituées, stratège lettré et fin causeur qui veut dépasser sa condition par l’intelligence. Le maître du jeu, c’est bien lui : la preuve étrange que, dans l’univers fortement sexué du Trône de fer, peu importe la taille. De la luxure et un nain. C’était donc la combinaison simple pour imposer la fantasy, via ses marges, sur le petit écran. Faire d’un genre vu comme mauvais un mauvais genre parfaitement fréquentable. Et du Trône de fer une des séries les plus outrées jamais vues à la télévision.
Un extrait du hors-série « Fantasy, l’origine des mondes », disponible en kiosque et en ligne ici
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