Attention spoilers ! Une scène de viol dans le troisième épisode de la saison 4 de « Game of Thrones », diffusé dimanche soir aux Etats-Unis, suscite la polémique outre-Atlantique.
On ne peut pas dire que depuis le début de sa quatrième saison, Game of Thrones fasse dans la dentelle. Les scènes de meurtre et de sexe se multiplient, posant parfois la question de leur intérêt scénaristique. Ainsi, l’extrême violence en apparence gratuite de la scène d’ouverture du deuxième épisode – dans laquelle une jeune femme est pourchassée par Ramsay Snow, le tortionnaire de Theon, avant d’être dévorée par ses chiens – avait suscité un début de polémique.
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Le scandale entourant le troisième épisode de la saison 4 diffusé dimanche aux Etats-Unis, est bien plus grand. Il concerne la scène dans laquelle Cersei Lannister est violée par son frère Jaime non loin du corps de leur fils défunt.
Le hic : le réalisateur Alex Graves ne considère pas cette scène comme un viol à proprement parler. C’est du moins ce qu’il a lâché au site Hit Fix :
« A la fin, ça devient consenti car tout ce qui les concerne débouche sur un truc bandant, particulièrement quand il s’agit d’une lutte de pouvoir. (…) C’est une de mes scènes préférées. »
En d’autres termes, pour Alex Graves, si la scène commence comme un viol, elle se termine en relation consentie de part et d’autre. Une étrange lecture de ce passage dans lequel du début jusqu’à la fin, Cersei proteste, dit clairement « non », et se débat contre son frère qui lui arrache ses vêtements et la plaque au sol.
Les propos d’Alex Graves ont fait bondir les médias américains, à commencer par Slate : « Si Graves souhaitait montrer une relation sexuelle consentie, il a complètement échoué. Ce n’est même pas une de ces terribles scènes clichées où un homme commence à violer une femme avant de se rendre compte qu’elle est excitée. (…) C’est la plus littérale des scènes de viol que l’on puisse trouver en télé, à moins que l’on croie au mythe ridicule de la femme qui ne peut être violée si elle a consenti à des rapports sexuels avec un homme auparavant ». Sur Wired, la journaliste Laura Hudson estime à raison :
« C’est une chose de présenter des actes horribles dans une fiction, c’est autre chose de les montrer tout en niant qu’ils soient horribles, surtout lorsqu’ils se trouvent fréquemment présentés, dans la vraie vie, comme ordinaires, et qu’ils se voient refuser leur légitimité et leur importance (…). Encourager les gens à imaginer que Cersei voulait secrètement [coucher avec Jaime] alors qu’elle est plaquée au sol et qu’elle crie « non » à côté du corps de son fils, revient à encourager les gens à penser comme les violeurs. Ça renforce l’idée, déjà terriblement présente dans notre société, que le consentement n’est pas quelque chose que les femmes doivent donner mais quelque chose qui doit être pris par la force ou la contrainte. »
Le Time s’interroge sur les retombées de tels propos sur certains téléspectateurs, à commencer par les plus jeunes, et conclut : « C’est important que des figures publiques comme eux aient conscience de la façon de décrire ces problématiques et d’y répondre. Que ressentiront les victimes d’agressions sexuelles devant un réalisateur et un acteur d’une des séries les plus populaires qui se demandent quand ‘non’ veut vraiment dire ‘non’ ? »
Une scène absente du livre
Une deuxième polémique est venue grossir ce premier scandale après que l’auteur des livres Game of Thrones, George R. R. Martin, a rappelé que la scène de viol ne figure pas dans le volume concerné. Dans le roman, Cersei hésite brièvement avant de céder totalement aux avances de Jaime. Dans un post de blog, Martin explique :
« Dans les romans, Jaime n’est pas présent à la mort de Joffrey et, par conséquent, Cersei a peur qu’il soit mort lui aussi, peur d’avoir perdu son fils et le père de son fils/amant/frère. Et, soudain Jaime est là à ses côtés, mutilé et changé, mais Jaime malgré tout. Bien que le temps et l’endroit ne soient pas appropriés et que Cersei ait peur de se faire voir, elle a autant envie de lui qu’il a envie d’elle. La dynamique est différente dans la série, où Jaime est rentré depuis des semaines, peut-être plus, et Cersei et lui ont été ensemble à plusieurs reprises, souvent en train de se disputer. L’endroit est le même mais aucun des personnages n’est à la même place que dans le livre, ce qui explique peut être pourquoi les producteurs ont organisé le lieu différemment. C’est juste mon hypothèse, nous n’en avons jamais discuté à ce que je me rappelle. (…) C’est tout ce que je peux dire sur cette problématique. La scène a toujours eu pour objectif de déranger… mais je regrette si elle a dérangé les téléspectateurs pour les mauvaises raisons. »
Dès lors, la question de l’intérêt narratif de cette scène se pose. La mise en scène d’un viol est-elle, dans cet épisode, purement gratuite ? Le site Vulture répond par l’affirmative : « Tourner cette scène en viol revient à ajouter une nouvelle couche de décadence qui n’était pas nécessaire à un moment déjà profondément désespéré« . On pourrait rétorquer que le viol ternit ici l’image de Jamie Lannister, qui, depuis la saison 2 et sa relation protectrice et complice avec Brienne de Tarth, semblait plus humain, moins cruel que ce que nous avait laissé penser la première saison.
Le viol : nouveau leitmotiv des séries ?
Se pose, plus généralement, la question de la multiplication des scènes de viol dans les séries. Downton Abbey, Scandal, House of Cards, The Americans, Top of the Lake… les séries s’emparent du viol, l’exposent, le dissèquent, le filment, s’en servent comme élément de narration, avec plus ou moins d’intelligence. Pourquoi cette récurrence ? Interrogée sur le sujet par le Time, Lisa Cuklanz, auteure de Rape on Prime Time, explique : « Plusieurs des séries impliquant des viols mettent en scène des personnages féminins qui sont perçus comme froids, sans pitié, calculateurs. Ces personnages ne sont pas aimés voir sont haïs du public. Savoir qu’ils ont été victimes de violence sexuelle tend à les humaniser« .
Comme le relève Eliana Dockterman du Time, ces séries traitent en majorité de l’après-viol, de la vie que mène la victime après avoir été violée, de la façon dont elle se reconstruit. Pour la journaliste, ce parti pris scénaristique général est une façon de « refléter ce qui se passe dans notre société« , qui commence à ouvrir les yeux sur le viol et à prendre le sujet à bras le corps :
« Nous sommes confrontés au problème longtemps ignoré du viol de façons différentes – exactement comme ces personnages de fiction. La notion de ‘culture du viol’ est apparue ces dernières années comme un sujet de conversation et de débat récurrent. (…) Nous avons vu des scénarios où les personnages se vengent d’un viol (Veronica Mars), se sauvent eux-mêmes ou sauvent un tiers d’un viol (Buffy), ou utilisent le viol comme rebondissement au sein d’un couple (Mad Men). Mais ce nouveau trope de survivantes essayant de gérer les conséquences d’un viol sur le long terme semble découler directement de notre culture. »
Se pose également la question de la représentation du viol : comment saisir toute la violence de cet acte ? Pour Salon, Game of Thrones y échoue en « glamourisant » l’acte et en s’en servant comme d’une « technique narrative« .
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