“Game of Thrones” entame son chapitre final. En six épisodes conçus comme des mini-blockbusters, elle devra solder ses enjeux politiques et fantastiques et sceller enfin l’alliance entre la glace et le feu.
En 2011, ce n’est pas une série d’auteur qui a redoré le blason de HBO mais un ogre de l’ampleur d’une superproduction hollywoodienne. En portant à l’écran la saga de George R. R. Martin Le Trône de fer, les producteurs avaient fait un pari risqué : celui d’investir un genre, l’heroic fantasy, au public d’ordinaire plutôt restreint.
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Sept saisons plus tard, Game of Thrones s’est imposée comme un des événements culturels les plus importants de la décennie, fascinant les spectateurs bien au-delà des cercles dits geek. Chaque diffusion prend les contours d’une messe planétaire dont l’hystérie collective, labourée de mille théories en amont, se prolonge en commentaires infinis. En puisant ses influences tant dans la mythologie antique et l’histoire européenne que dans la prose de Shakespeare ou l’imaginaire de Tolkien, la série a su transcender les frontières de son univers médiéval fantastique : au versant surnaturel se greffe une tragédie politique machiavélique, elle-même contaminée par les codes du soap.
Attirance réciproque
Game of Thrones souffre néanmoins de nombreux défauts, depuis ses excès de violence racoleurs à son sexisme voilé : si la série a mis en scène l’empowerment de ses personnages féminins, la plupart ont subi une domination masculine (viol, humiliation, esclavage) avant de s’en émanciper. En multipliant les intrigues secondaires tout en repoussant ses horizons narratifs – Daenerys Targaryen a attendu six saisons avant de voguer vers Westeros et l’hiver huit ans pour que pointe ses flocons –, le show s’est dilué dans une structure bavarde qu’électrisaient parfois quelques morceaux de bravoure.
Marquée par une accélération narrative et une ouverture des vannes du spectaculaire, la saison précédente est venue redistribuer les cartes avec un panache autant salué que critiqué. Tout allait d’un coup trop vite, se déployait trop grand : l’ivresse du mouvement remplaçait l’éclatement statique et la stupéfaction prenait le pas sur la vraisemblance. Le jeu de massacre se réduisait à trois têtes couronnables et les enjeux narratifs se sédimentaient en deux pôles, l’un réaliste (qui montera sur le trône de Westeros ?), l’autre fantastique (les humains parviendront-ils à vaincre les Marcheurs blancs ?).
Dans le dernier épisode de la saison 7, Jon Snow, Cersei Lannister et Daenerys Targaryen négociaient un cessez-le-feu pour lutter contre la déferlante des morts. Inconscients de leur ascendance commune, le Roi du Nord et la Mère des Dragons cédaient à leur attirance réciproque.
Une émotion propre au format sériel
Le premier épisode de la saison 8 se déroule presque uniquement à Winterfell, la place forte du Nord. Accompagnée par ses légions, ses dragons, Jon Snow, Tyrion Lannister et leurs alliés, Daenerys Targaryen foule la terre enneigée sous les regards méfiants de la population locale. A Port Réal, Cersei Lannister, décidée à ne pas respecter la trêve, reçoit le soutien des mercenaires de la Compagnie dorée et se rapproche d’Euron Greyjoy. Theon Greyjoy brise le cycle d’humiliations et de lâchetés qui l’enserrait en libérant sa sœur, et Jon Snow, après un vol en dragon, apprend la vérité sur ses origines.
Ce retour statique et dénué d’action a de quoi décontenancer face au déluge pyrotechnique du chapitre précédent, et peine à gérer astucieusement la réunion de la quasi-totalité de ses protagonistes dans un même espace. Construit en miroir de l’épisode pilote, il laisse pourtant émerger une émotion propre au format sériel en permettant de mesurer combien les visages rencontrés il y a huit ans ont changé, marqués par le passage du temps réel ou l’impact des événements fictionnels. Toutes les retrouvailles mettent ainsi en scène des héros qui ont achevé leurs quêtes initiatiques, qu’elles aient consisté en une affirmation de soi (Daenerys ou Sansa), une transformation profonde (Arya ou Bran) ou en un rejet des déterminismes familiaux (Tyrion ou Jaime).
Une fois acté ce bilan des forces en présence et ce point d’arrêt des trajectoires individuelles, c’est en communauté, certes pétrie de tensions mais tendue vers un horizon commun, que les personnages vont affronter les derniers enjeux politiques, métaphoriques et humains du récit qui les a fait naître. Au pied d’un Mur ébranlé et portés par un rêve de printemps, ils s’apprêtent à affronter ensemble le cauchemar de l’hiver.
Game of Thrones saison 8, à partir du 15 avril sur OCS City.
Alexandre Büyükodabas
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