Avec un budget et des méthodes hors normes, « Game of Thrones » a remis le paquebot HBO à flot.
Qui aurait imaginé qu’un nain stylé et une bande de moyenâgeux hirsutes assoiffés de sexe, de pouvoir et de sang remettraient un continent à l’endroit ? Ce continent, c’est bien sûr la chaîne HBO, mastodonte de la télé câblée américaine, qui se demandait à la fin des années 2000 où avait bien pu filer son âge d’or, autrefois incarné par de grandes séries révolutionnaires comme Six Feet under. Depuis la fin des Soprano en 2007, Mad Men et autres Breaking Bad avaient repris le flambeau des phénomènes du petit écran dont tout le monde parle. Mais elles ne passaient pas sur HBO. La propriété du groupe Time Warner avait égaré son mojo et certains prédisaient sa chute. En face, une concurrence féroce empruntait et modernisait ses méthodes, fondées sur le règne des auteurs. Mais Game of Thrones est arrivée au printemps 2011, atteignant en quelques jours un objectif que d’autres n’avaient pas réussi à effleurer en plusieurs années : générer du buzz et se parer sans discussion des atours de la crédibilité.
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Si cette adaptation des romans fantasy de George R. R. Martin n’a pas tout à fait l’aura artistique des chefs-d’oeuvre évidents (mais peu vus) comme The Wire, Game of Thrones accomplit le tour de force d’aller puiser bien au-delà du socle des fans du genre. Nul besoin d’adorer les royaumes inventés ou d’avoir passé tous ses samedis après-midi à jouer à Donjons et Dragons pour se révéler sensible aux intrigues familiales tordues de la série, qui rivalise aujourd’hui avec The Walking Dead, Downton Abbey et Homeland pour le titre de création télé la plus adulée de l’époque.
Aux Etats-Unis, les chiffres d’audience des deux premières saisons ont connu une progression vertigineuse. D’un peu plus de deux millions de téléspectateurs pour le pilote, Game of Thrones est passée au double en fin de saison 2, et son retour le 31 mars a explosé les compteurs.
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Si on ajoute des ventes excellentes de DVD, de Blu-ray et numériques ainsi que le titre officieux de série la plus téléchargée au monde en 2012 (selon le site Torrentfreak, chaque épisode de Game of Thrones est piraté en moyenne 4 millions de fois), la folie est à peu près totale. Tout cela pour une série exigeante, à mille lieues des délires numériques du Seigneur des Anneaux.
Pour s’assurer l’exclusivité de cette poule aux oeufs d’or vendue dans le monde entier, HBO a mis le prix. Loin, très loin du minimalisme en appartement new-yorkais de Girls, Game of Thrones navigue dans les eaux peu fréquentées des très hauts budgets. Il n’y a aujourd’hui que la nouvelle bombe à 100 millions de dollars de Netflix, House of Cards (produite et en partie réalisée par David Fincher) et peut-être Boardwalk Empire pour rivaliser. Selon le boss de la programmation à HBO, Michael Lombardo, la première saison a coûté 60 millions de dollars, soit six millions par épisode, tandis que la deuxième saison a vu ce budget augmenter de 15 %, à cause notamment d’une immense scène de bataille à l’épisode 9. Aucun chiffre ne circule encore à propos de la nouvelle saison, mais les objectifs de Lombardo sont clairs : « Nous avons l’ambition que chaque épisode ressemble à un petit film. »
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Dans un documentaire diffusé la semaine dernière sur OCS, l’expérimenté réalisateur Alan Taylor raconte que Game of Thrones est la première série sur laquelle il travaille où deux équipes de tournage sont mobilisées en permanence, de Belfast à Malte en passant par le Maroc. « Il y a l’équipe dragon et l’équipe loup », s’amuse-t-il. Le spectre très large de l’univers imaginé par George R. R. Martin nécessite un casting imposant et des départements techniques dignes de superproductions hollywoodiennes. Plus d’une centaine de personnes travaille sous les ordres de la costumière Michele Clapton, qui estime à environ trois mille le nombre de costumes créés chaque saison.
Pour diriger ce véritable monde parallèle, HBO a choisi deux showrunners plutôt qu’un, David Benioff et D. B. Weiss (alias D&D), dont le principal travail, en plus de gérer la série au quotidien, consiste à réfléchir à la meilleure manière de faire entrer les énormes livres de George R. R. Martin dans le format contraignant de saisons limitées en épisodes. « J’ai écrit les premiers livres de la saga en toute liberté, en me disant qu’ils ne seraient jamais adaptés », note George R. R. Martin. Résultat : pas mal de maux de tête et quelques décisions fortes, comme celle de scinder l’adaptation du troisième volume, A Storm of Swords, en deux saisons, la troisième et la quatrième. Devant cet éternel tumulte, Benioff et Weiss restent tranquilles. A 40 ans à peine, ils n’ont ni l’ego ni, peut-être, la puissance créative de certaines grandes figures de l’histoire récente des séries. Leur ambition est différente. Alan Taylor résume l’affaire :
« Que ce soit Matthew Weiner pour Mad Men, David Milch pour Deadwood, Aaron Sorkin pour A la Maison Blanche ou David Chase pour Les Soprano, certains showrunners avec qui j’ai travaillé étaient des génies mais aussi des loups solitaires perchés sur leur colline. Sur Game of Thrones, c’est plus chaleureux, le travail est réellement collectif. »
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