L’acteur qui joue le psy d’“En thérapie” évoque la belle deuxième saison et sa passion pour la série d’Arte.
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La deuxième saison d’En thérapie arrive après l’énorme succès de la première, avec un statut et peut-être une pression. Comment avez-vous vécu le passage de l’une à l’autre ?
Frédéric Pierrot – Nous avions terminé le tournage de la première saison huit jours avant le premier confinement. Il s’est passé beaucoup depuis. Quelque chose pour moi a été plus joyeux sur la seconde saison, pas tant lié au succès mais à la conviction personnelle que le travail analytique pouvait aider. Je suis en analyse depuis assez longtemps. Mon expérience sur la première saison a accéléré mon propre travail. La thérapie passe par des moments difficiles, mais c’est au fond une traversée assez joyeuse qui permet un certain recul vis-à-vis de difficultés qu’on se coltine tous le nez dans le guidon. Il y a des moments dramatiques dans cette saison, une jeune femme atteinte d’un cancer notamment (le personnage de Lydia, interprété par Suzanne Lindon, ndlr.), mais je ressens aussi une force de vie. Avec ces nouveaux épisodes, j’avais la conviction d’aller plus loin. Pour moi, il y avait une marge de progression par rapport à la première saison.
De quelle façon avez-vous travaillé ? Vous êtes intervenu sur la construction du personnage de Dayan.
Avec Éric Toledano et Olivier Nakache, on a bossé pendant un mois et demi sur les textes et le personnage du psy. On a beaucoup approfondi la question de sa place et de son comportement. Cela a été parfois presque des combats. Il fallait que l’écoute des uns et des autres soit suffisamment respectueuse et intelligente, cela a été le cas. Cela me réjouit et on le sent : on n’a pas évité les affrontements théoriques. J’avais une sorte d’opposition à certains choix en disant : “Un psy ne peut pas dire ça.” On sait que la série originale israélienne se basait sur une vision anglo-saxonne de l’analyse. Et les anglo-saxons font davantage de la psychologie. En analyse, on n’est pas dans le cadre du développement personnel ou du coaching, ce que certaines psychothérapies font. À certains moments, notre psy s’approche de cela. Mais on ne peut pas montrer qu’il est là pour sauver les gens car c’est autre chose que l’on cherche dans l’analyse, de plus complexe et plus long.
Comment avez-vous réglé la question de la pratique du psy ?
Il fallait remettre la série dans le cadre français. Quand Dayan va faire un sandwich à un enfant qui a arrêté de manger, je sais que ce n’est pas possible. Je trouve Dayan insuffisant, à certains moments il patauge, il fait n’importe quoi. Il fallait donc quelqu’un pour le remettre à sa place. Charlotte Gainsbourg (qui joue Claire, la psy de contrôle de Dayan, chaque vendredi, ndlr.) incarne ce personnage qui remet Dayan à sa place. Elle a été remarquable dans le rôle d’une femme plus jeune, qui a eu du succès en librairie, très différente de lui.
Pourquoi Dayan fait-il n’importe quoi, selon vous ?
À la fin du dixième épisode, Claire fait le bilan de sa séance avec Dayan et parle de la volonté absolue de soigner comme d’une toxicité. Nous avons eu un débat lors de la préparation avec les psys consultants Serge Hefez et Marc-Alain Ouaknin, autour d’un texte sur la “furor sanendi”, la volonté absolue, furieuse, de soigner. On connait cette phrase latine : “Le médecin soigne, la nature guérit.” Cette nuance me paraît d’importance. Prendre soin, c’est être à l’écoute, mais quand on va au-delà et qu’on veut absolument guérir l’autre, on déborde du cadre. Chaque réalisateur et réalisatrice a cherché à approfondir cela avec sa propre expérience.
Certains étaient sans doute très sensibles à la question, comme Arnaud Desplechin.
Arnaud envoyait des messages à la pelle, il était passionné. Il a un véritable rapport à l’analyse. On lui a proposé avec cette série un dispositif d’une simplicité biblique, qu’il a pris comme un exercice de style fondamental et basique. Il essaie de capter ce qu’on cherche tous dans En thérapie : à quel moment la parole est pleine ? À quel moment ce qui est dit résonne, même si on s‘en rend compte seulement plus tard ?
Comment la série vous fait-elle évoluer en tant que comédien ? Jouer 35 épisodes, ce n’est pas rien.
Comme j’avais la première saison dans les bottes, j’ai essayé d’être attentif au confort de mes partenaires lors des prises qui dépassent parfois les vingt minutes. Je porte une oreillette, un détail technique qui me permet d’être entièrement dans la concentration du tournage, vraiment consacré au patient, enfin… à l’acteur ou à l’actrice qui est face à moi. Cela permet d’être disponible à quelque accident. Tous mes partenaires arrivaient au début très inquiet·es de voir la quantité de texte à dérouler sur une journée et demi de tournage. On s’empare de mots que l’on n’a pas pu vraiment analyser, faute de temps… J’étais là pour les rassurer, leur montrer que c’est passionnant. Car cette série me passionne. Je suis en train de finir un livre de mon propre analyste qui a mis au point le “psychodrame analytique individuel”, d’abord développé par Serge Lebovici. Son livre s’appelle Jouer pour de vrai et c’est lié aux questions que je me pose comme acteur. Ce serait quoi, jouer pour de vrai ? Trouver le moment où on est impliqué personnellement par ce qui est dit, même si le texte n’est pas le nôtre. En face de moi, j’ai des personnages mais j’ai aussi vraiment Charlotte (Gainsbourg), vraiment Jacques (Weber), vraiment Aliocha (Delmotte), vraiment Suzanne (Lindon), vraiment Eye (Haïdara). Je me débrouille avec tout ça.
Propos recueillis par Olivier Joyard.
En thérapie saison 2. Sur Arte.tv et à partir du 7 avril chaque jeudi sur Arte.
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