Une minisérie retrace les amours houleuses du chorégraphe Bob Fosse et de la danseuse Gwen Verdon. Une méditation nostalgique et amère sur la fin d’un genre, le musical, et la violence des sentiments.
A l’annonce d’une série sur les aventures à la ville et à l’écran de Gwen Verdon et Bob Fosse – elle, danseuse de génie, lui, chorégraphe et cinéaste oscarisé – entre Broadway et Hollywood, les critiques américains ont frétillé d’impatience collectivement.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Alors que du point de vue français, Bob Fosse reste avant tout dans les mémoires comme le réalisateur de Cabaret (1972) et All That Jazz (Palme d’or au Festival de Cannes en 1980), Gwen Verdon n’a pas forcément la même réputation, sinon auprès des spécialistes, qui identifient bien cette héritière du classicisme hollywoodien.
Une star de la comédie musicale d’après l’âge d’or
D’abord assistante de Jack Cole et coach de danse des icônes fifties comme Lana Turner et Marilyn Monroe, elle deviendra une star de la comédie musicale d’après l’âge d’or. Par quelque bout qu’on la prenne, l’histoire de Bob Fosse et Gwen Verdon est donc celle d’une époque – des années 1960 aux eighties – et de la passion d’un pays pour l’entertainment.
La minisérie, produite par Lin Manuel Miranda, écrite par Steven Levenson et Thomas Kail, suit ce programme avec une flamboyance et une rapidité d’exécution immédiate. Les premiers épisodes de Fosse/Verdon font preuve d’une croyance de tous les instants dans la puissance évocatrice de ce qu’ils veulent raconter. Les coulisses du spectacle font office de puits narratif sans fond dans le cinéma américain (et maintenant les séries) depuis au moins quatre-vingt ans – parmi les tentatives les plus marquantes : Tous en scène de Minnelli, All about Eve de Mankiewicz, une grande partie de l’œuvre de Busby Berkeley…
Mais la manière dont cette histoire spécifique est traduite ici est-elle vraiment puissante ? A voir. Le principe louable du récit est de construire a priori une égalité de point de vue entre Gwen Verdon et Bob Fosse – d’où le titre de la série, pourtant inspirée d’une bio du seul Bob Fosse. Le premier épisode épouse le point de vue de l’homme, le second celui de la femme, en théorie au moins. Dans la réalité, l’attraction pour Fosse (Sam Rockwell) est assez évidente et le personnage de Verdon (Michelle Williams) moins valorisé. Ou plutôt, valorisé en fonction de lui…
Leurs rapports décrits ici sont émouvants, volcaniques
Fosse/Verdon suit l’histoire à la fois amoureuse et professionnelle de ce couple – marié pendant seulement onze ans (1960-1971), et qui restera proche jusqu’à la mort de Fosse en 1987 –, à travers les succès comme Cabaret ou Lenny (1974) et quelques échecs brutaux. Leurs rapports décrits ici sont émouvants, volcaniques, féroces même parfois, pourtant ils reposent sur une dynamique si huilée qu’elle finit par lasser : la folie d’un génie créatif qui ne cesse de tromper son épouse mais a besoin d’elle, qui doute de lui-même mais pense aussi que le monde ne le mérite pas.
Ce portrait de l’artiste masculin en grand tourmenté sonne bizarrement, à notre époque où une autre conception de la création s’invente. Dans la série, Michelle Williams en semble consciente et défend son personnage – il n’y a pas d’autre mot – avec une émotion énorme. Sa fragilité de brindille et sa manière de tenir debout dans toutes les bourrasques force le respect.
Le sentiment de traverser l’histoire d’un medium disparu
Par moments, Fosse/Verdon trouve son équilibre entre des morceaux dansés dans la plus pure tradition de Broadway (les amateur.trice.s y trouveront leur compte, même si on en aimerait plus) et des répliques comme “Tout ce que je voulais, c’est être Fred Astaire” donnant le sentiment de traverser l’histoire d’un medium disparu, quand l’alliance fluide des images et de la danse faisait vivre et revivre Hollywood jusqu’aux années 1970.
Cette nostalgie, cette mélancolie même, s’imprime jusque dans une narration éclatée entre les époques, qui fait le choix de montrer d’abord la vie entre les événements marquants. Cela donne un biopic culotté car refusant de s’appuyer seulement sur les moments forts. Des cartons indiquent où et surtout quand se situe l’action à venir (le premier dit ceci : “Hollywood. Il reste dix-neuf ans”) pour donner un sentiment d’urgence aux gestes et aux paroles. Ici, il est constamment question de distance et du temps qui passe, d’occasions ratées et de survie. Il est d’autant plus dommage que cette matière émotionnelle riche repose sur des fondations vues et revues. Olivier Joyard
Fosse/Verdon de Lin-Manuel Miranda, avec Sam Rockwell, Michelle Williams. A partir du 14 avril sur Canal+ Séries et MyCanal
{"type":"Banniere-Basse"}