Le créateur de House of Cards, Beau Willimon, propose une anti-épopée cruellement terre à terre et viscéralement humaine.
Sous les regards et les caméras du monde entier, cinq astronautes embarquent dans une navette pour la première mission habitée vers Mars. Les dernières vérifications se doublent de blagues tendues et de rituels porte-bonheur, avant que les nappes électroniques de la bande-son ne se confondent avec les grondements des moteurs.
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L’ouverture de The First est un air connu, ancré dans la mémoire collective et solidifié par l’imaginaire cinématographique. Pourtant, quelque chose sonne faux dans ce concert en apparence rodé, dissonance bientôt stridente lorsqu’on remarque que Sean Penn, annoncé comme acteur principal de la série, est resté au sol. Le mauvais pressentiment est confirmé quand la navette et son équipage explosent après quelques secondes de vol.
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Le choc que provoque cet accident donne le ton d’une série qui envisage le progrès comme une pratique de l’échec, et prend à rebours les attendus du récit de science-fiction : ses huit épisodes s’inscrivent dans les deux ans qui séparent l’accident de la prochaine fenêtre de lancement, et ne quitteront jamais la surface terrestre. Forcément déceptif.
Un Sean Penn tout en retenue
De la commission d’enquête censée déterminer les causes du drame aux tractations politiques visant à débloquer des fonds, l’objectif Mars se déploie avec patience (et parfois excessive lenteur). C’est un art de la parole – persuasive, tranchante, inquiète, passionnée – et de la discussion comme champ de bataille, longuement éprouvé par le showrunner Beau Willimon dans House of Cards, qui donne corps au récit.
Le deuxième mouvement de The First consiste en un repli du spectaculaire vers l’intime, qui investit particulièrement trois personnages. Il y a d’abord Tom Hagerty, astronaute vieillissant écarté de la première mission en raison de problèmes familiaux et nommé à la tête de la seconde, qui cherche à conjuguer son rôle de père et ses rêves d’étoiles.
Incarné par un Sean Penn tout en retenue, il traverse la fiction comme un somnambule qui accrocherait par accident quelques bribes de réel. Au premier rang sa fille Denise (Anna Jacoby-Heron), à la dérive depuis la mort de sa mère.
La science-fiction contemporaine est devenue une affaire de résilience
Dans les replis de cette anti-épopée spatiale se dissimule ainsi une méditation sur le deuil, écho à la manière étonnante avec laquelle la science-fiction contemporaine, de Premier Contact à Interstellar en passant par Gravity, est devenue une affaire de résilience.
Hélas, l’épisode 5 de la série, tourbillon expérimental de souvenirs réalisé par la cinéaste franco-turque Deniz Gamze Ergüven (Mustang) et conçu comme le cœur émotionnel du drame familial des Hagerty, s’affaisse sous des excès de symbolisme et un lyrisme maladroit.
Le troisième visage est celui de Laz Ingram (Natascha McElhone), femme d’affaires et scientifique visionnaire à la tête de l’épopée martienne. Si ses contours initiaux évoquent un Elon Musk (patron de Tesla et de SpaceX) en moins turbulent, le personnage, notamment lors d’une séquence d’interview construite par Ergüven comme un long jeu du chat et de la souris, révèle son impressionnante densité.
D’abord présentée comme un bloc de granit calculateur, Ingram occupe une place indiscutée au sommet d’un corps de métier aujourd’hui essentiellement masculin, témoignant ainsi d’une projection féministe réjouissante, quand sa position inattendue lors du morceau de bravoure final offre à la série sa scène la plus bouleversante.
À travers les désirs entrelacés de Laz Ingram et Tom Hagerty, The First ausculte enfin ce qu’il reste de l’esprit pionnier américain, incarné par la conquête spatiale depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Si la série passe à côté de son caractère patriotique et mégalomane, elle prend acte de l’enrayement de la machine à rêves et questionne, de ses tenants les plus concrets à ses spéculations philosophiques, l’irrésistible désir humain de projection vers l’inconnu.
The First, sur OCS Max.
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