Alors que l’Ours d’or a été remis hier au touchant « Taxi » de Jafar Panahi, retour sur le dernier festival de Berlin
Hasard malheureux du calendrier ? Hégémonie cannoise en perpétuelle expansion qui n’autorise plus aucune concurrence ? Rarement le festival de Berlin n’aura paru si démuni et peu a même de rivaliser avec Cannes sur le terrain du défilé de haute création cinématographique mondiale. Seulement quelques grands noms – et pas toujours avec des oeuvres à la hauteur du nom. Et plus grave, très peu de découvertes.
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Sans surprise l’ours d’or est allé au film le plus fédérateur, le seul film a peu près unanimement apprécié de la compétition : Taxi de Jafar Panahi. Tourné clandestinement par le cinéaste toujours frappé de l’interdiction de travailler et de quitter l’Iran, Taxi est en effet un film assez touchant, construit sur un dispositif de caméras fixes rivées à l’avant d’une voiture, proche de celui du Ten de Kiarostami (2002). Un faux chauffeur de taxi (Panahi himself) transporte des dizaines de passagers pendant une meme journée. Puzzle de conversations croisées et de personnages hétéroclites, le film encapsule un panoramique vivace de l’Iran d’aujourd’hui, que le cinéaste semble à la fois aimer et abhorrer. C’est la nièce du cinéaste, en larmes, qui est venu cherché le trophée du cinéaste. Rappelons que Panahi avait déjà reçu à la Berlinale l’Ours du meilleur scénario en 2013, le Lion d’or a Venise en 2000 pour Le cercle et la Caméra d’or à Cannes en 1995 pour Le ballon blanc.
El Club, Grand Prix spécial du jury
Le chilien Pablo Larrain ne peut pas encore se flatter d’un CV aussi bien pourvu. Mais le cineaste de Tony Manero et No (sur le référendum chilien de 88 avec Gael Garcia Bernal) y travaille d’arrache pied et ce désir de reconnaissance internationale suintant à chaque plan de son nouveau film a porté ses fruits : El club a conquis le deuxième prix le plus important, le Grand Prix spécial du jury. Le film raconte par le menu la ténébreuse histoire de prêtres pédophiles. L’atmosphère est irrespirable et le cinéaste traite ses personnages avec une brutalité inouïe. Entre sordide gratuit, usage calamiteux de la musique d’Arvo Part, facilités scénaristiques, le film est indigne du grand cinéaste que Pablo Larrain croit devenir.
Les cinéastes les plus prestigieux en revanche ont tous été reconduits vers la sortie. Grande signature en voie de démonétisation, Terrence Malick n’a guère convaincu avec son Knight of cup. Le film, à la fois très ambitieux et toujours en surrégime (mitraillage de sons, de plans, dans un souci quasi spirituel d’abstraction et de transe plastique ascensionnelle), pas loin souvent de l’autocombustion, était pourtant sans aucun doute le geste de cinéma le plus tranchant du festival et son absence du palmarès parait assez injuste.
Werner Herzog également écarté du partage des prix
Werner Herzog est plus coutumier que Malick aux variations boursières des auteurs. Longtemps dévalué, il a vu sa côte remonter en flèche depuis une dizaine d’années. Mais la courbe devrait s’inverser avec Queen of desert, mélo maladroit autour de l’archéologue aventurière Gertrude Bell (Nicole Kidman), qui, c’était plus attendu, a été lui aussi écarté du partage des prix. Le film est à la fois très conventionnel dans sa présentation, mais bizarrement heurté par des rasades d’humour caustique inadapté au genre – comme cette scene romantique observée par un vautour qui dévore ses proies.
Dans le registre du classicisme tendu, travaillé par une férocité rentrée, Benoit Jacquot s’en sort mieux avec Le journal d’une femme de chambre, nouvelle adaptation du roman de Mirbeau (après Renoir et Bunuel), pédagogique dans son souci de faire entendre la langue et la virulence critique de son auteur anarchiste, assez brillant dans le déploiement d’une mise en scène toute en sécheresse et rétention. Pour lui non plus pas de prix, pas même pour Léa Seydoux pourtant impeccable en poupée maltraitée, qui encaisse les coups avec dans le regard une nuance de machiavélisme.
Le faible niveau de la compétition
En fréquentant les sélections parallèles (le forum, le panorama…), on découvrait quelques gestes formels forts, comme Rabo de peixe, le nouveau docu/fiction poétique de Joachin Pinto cosigné avec Nuno Leonel, Histoire de Judas de Rabah Ameur Zaimeche, évocation ascétique et vibrante de la relation entre Jésus et son apotre présumé traitre, ou encore Le dos rouge d’Antoine Barraud, très belle réflexion sur le processus créatif, avec pour acteur principal le cinéaste Bertrand Bonello et quelques actrices remarquables autour (Jeanne Balibar, Joanna Preiss, Géraldine Pailhas, Valérie Dréville, Isild Le Besco…). Vu le faible niveau de la compétition, il va de soi qu’elle aurait eu tout à gagner à sélectionner ces films là, plus stimulants que les deux tiers présentés. Il serait temps que les programmateurs berlinois updatent un peu leur conception d’un « film de festival ».
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