Julian Fellowes quitte l’Angleterre pour l’Amérique de la fin du XIXe siècle, dans la haute société new-yorkaise. Assez fin et souvent jouissif.
Annoncée en 2012, située en 1882, budgétée à hauteur de plusieurs dizaines de millions de dollars, passée par un long développement avant d’atterrir finalement sur HBO : The Gilded Age fait partie de ces rares mastodontes sériels qui font tourner la tête avant même de pointer leur nez.
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Quand on ajoute le pedigree du créateur, l’Anglais Julian Fellowes, la tension monte encore d’un cran. Ce septuagénaire, Lord de son état, a signé il y a une vingtaine d’années le scénario oscarisé du dernier grand film de Robert Altman, Gosford Park, avant de connaître un succès mondial avec Downton Abbey, la série plaid en cachemire et feu de cheminée qui plongeait avec délice dans les arcanes d’une maison d’aristos de la première moitié du XXe siècle, mettant à peu près à égalité les maîtres et les valets. Une touche piquée par Fellowes à la grande pionnière Upstairs/Downstairs, série mythique diffusée par ITV au début des années 1970 et écrite par Fay Weldon.
La grande traversée
The Gilded Age reprend à peu près les mêmes recettes, et simultanément, les retourne sur elles-mêmes. Celles-ci finissent tout de même par retomber sur leurs pieds, mais le déplacement opéré n’est pas anodin. D’Angleterre, nous sommes translatés vers l’Amérique des années 1880, précisément dans l’Upper East Side new-yorkais, le quartier des ultra riches dont nous découvrons le monde luxuriant à travers un prisme foisonnant. Il y a d’abord une nouvelle venue (géniale Carrie Coon, ex-The Leftovers) dont le mari a fait fortune dans le chemin de fer. Celle-ci peine à intégrer la haute société, régie par l’inflexible socialite old school jouée avec une méchanceté communicative par Christine Baranski – les fans de The Good Wife et The Good Fight apprécieront. On reconnaît aussi Cynthia Nixon, qui vit un moment singulier de sa carrière après avoir repris son rôle de Sex And The City dans And Just Like That…
Les anciens contre les modernes, la formule n’est pas neuve et pourtant toujours pertinente, quand les conflits sont aussi bien amenés. Derrière le duo central de femmes privilégiées (et quelques autres) se glissent des hommes ambitieux, une jeune aristo déchue et une écrivaine en devenir, seul personnage noir du casting principal. Une flopée de domestiques et un chef français complètent le tableau. Comme toujours, Fellowes excelle pour passer d’un monde à un autre presque dans le même décor, capable de porter son attention sur les vies les plus baroques, comme les plus simples.
Ce mélange n’est pas sans poser question politiquement – les pauvres n’existent ici que rarement sans les riches – mais parvient pourtant à charmer durablement. La trajectoire de Peggy Scott, ambitieuse autrice afro-américaine, place The Gilded Age dans une certaine modernité des séries, sans jamais donner l’impression de raccrocher les wagons de l’époque. Hyper documenté, le récit s’appuie sur un travail de plusieurs années pour connaître les dynamiques raciales de la fin du XIXe siècle à New York. Spoiler : ce n’est pas beau à voir.
Ressusciter le passé
En s’intéressant à un moment florissant et contradictoire de l’histoire sociale et économique de l’Amérique, qui n’est ni de près ni de loin son pays, le créateur réussit à donner du souffle à ses récits habituels, faits de petites mesquineries quotidiennes, d’espoirs vibrants et de tragédies implacables. Julian Fellowes a connu l’une de ses premières émotions enfantines en regardant le couronnement d’Elizabeth II à la télévision, en 1953, et continue aujourd’hui de s’intéresser à la fois aux séries américaines et aux soaps bien anglais, notamment Coronation Street. Cette culture profonde du petit écran transpire par tous les pores de The Gilded Age.
Il s’en dégage une croyance fondamentale dans les moyens sériels, une joie de raconter plusieurs histoires en parallèle qui n’a pas beaucoup d’équivalent aujourd’hui, surtout dans les productions dites de prestige comme celles que propose HBO. Les séries se prennent souvent tant au sérieux que la légèreté existentielle de cette saga nous ramène très naturellement vers un territoire que l’on croyait oublié. Ce qui est, au fond, le sujet de The Gilded Age : ressusciter un passé révolu, avec l’œil du présent.
The Gilded Age. Sur OCS.
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