Entre thriller psychologique et comédie noire, la série “Acharnés” saisit la crise existentielle de ses deux personnages pris dans une spirale de vengeance incontrôlée.
Tout commence par une altercation pathétique sur le parking d’un supermarché. Au volant de son vieux pick-up, Danny, entrepreneur fauché vivant en coloc avec son petit frère, recule sans prendre garde au SUV blanc derrière lui. Après l’avoir copieusement klaxonné, sa conductrice Amy, start-uppeuse fortunée au train de vie cossu, abaisse la vitre pour lui adresser un doigt d’honneur. Une course-poursuite s’engage dans les rues de Los Angeles : sans issue décisive, elle plonge ses deux protagonistes dans une escalade de vengeance machiavélique.
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Créée par Lee Sung-Jin, qui a participé à l’écriture des excellentes Tuca & Bertie et Dave (aka Lil Dicky), Acharnés (Beef en VO) se tient au point d’équilibre entre succès algorithmique et auteurisme chic. Produite par la société A24 (dont le catalogue abrite Ari Aster, Kelly Reichardt, Joanna Hogg ou les frères Safdie côté ciné, et des séries comme Euphoria et Ramy), elle bénéficie de l’engouement actuel pour les fictions sud-coréennes et s’inscrit dans le mouvement de visibilité accrue sur les écrans des communautés américaines d’origine asiatique.
Attraction des contraires
Inauguré par un carambolage, son programme semble tout tracé : la séduction racoleuse d’un affrontement en gradation chaotique dévoilera peu à peu les signes d’une attraction des contraires, et le ring de boxe sera celui d’une parade amoureuse retorse. À ma gauche : Steven Yeun, ex-star de Walking Dead devenu la coqueluche d’un cinéma d’auteur coréen à visée internationale (Burning, Minari...) qui fait enfin tomber son masque de perfection glacée. À ma droite, Ali Wong, étoile montante du stand-up qui déploie dans son premier rôle d’envergure une partition grisante de transfuge de classe névrosée.
Si la série applique effectivement sa promesse d’un emballement vengeur façon boule de neige, elle a l’intelligence de ne pas cantonner sa narration au simple déploiement de son concept, mais de louvoyer autour de manière imprévisible. Attentive aux détails comme à sa toile de fond, son écriture égratigne l’absurdité de nos existences contemporaines par touches sarcastiques tout en inscrivant ses personnages dans un terreau familial, social et culturel plus large.
Précarité économique
Dans le sillage de ses figures antipathiques qu’elle ne s’échine pas à rendre attachantes mais élève toutefois au-dessus de la caricature bitchy, Acharnés dissèque des trajectoires tiraillées entre respect des traditions, ambitions individuelles et poids des attentes familiales. Précise dans sa peinture de la précarité économique comme des rouages de la bourgeoisie, elle se débarrasse au passage d’un certain nombre de stéréotypes attachés à la représentation des communautés asiatiques.
L’audace de la série se trouve hélas quelque peu comprimée par la psychologisation attendue de ses enjeux, l’escalade de la vengeance cristallisant les frustrations de ses personnages comme une thérapie comportementale à grande échelle. Si le dévoilement progressif des traumas d’Amy et Danny ménage quelques vacillements émouvants, cette façon de chercher le “vrai” dans le déchaînement des pulsions et l’intensité dans l’expression du refoulé trouve rapidement ses limites.
Acharnés, de Lee Sung-jin, avec Steven Yeun, Ali Wong, Patti Yasutake, Joseph Lee (II)… Sur Netflix.
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