Nouveaux héros, nouvelle intrigue, nouvelle époque. Arrivant juste après l’accident True Detective, la seconde saison de Fargo risquait gros à repartir à zéro. Elle n’en est pourtant que plus passionnante encore.
Après la réception glaciale de True Detective saison 2 l’été dernier, certains dans l’équipe créative de Fargo ont tremblé, comme les personnages de la série quand un flingue leur caresse le front. Remettre à zéro les compteurs de la narration chaque année – nouvelle histoire, nouvelles têtes –, comme l’exigent les lois de l’anthologie, c’est prendre le risque de la perturbation spatiotemporelle du spectateur, créature sensible et néanmoins féroce en ces temps de concurrence acharnée. La création so dark de Nic Pizzolatto, par exemple, n’a jamais réussi à faire oublier les acteurs, Matthew McConaughey et Woody Harrelson, ni la Louisiane lascive et hantée de ses premiers pas.
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Pour sa deuxième saison en cours de diffusion, Fargo connaît elle aussi quelques ratés du côté des audiences. Pour le reste, c’est-à-dire ce qui compte vraiment au-delà des chiffres, son importance dans le paysage TV/streaming se révèle potentiellement majeure. Première certitude, des bases ultrasolides lui permettent de passer le cap du recommencement avec cohérence et parfois brio.
Retour en 1979
On rappellera que Fargo n’est pas une adaptation du film des frères Coen sorti en 1996, mais plutôt une variation sur le même thème : faire du noir (un drame brutal mais distancié) avec du blanc (les paysages enneigés du nord de l’Amérique). Joel et Ethan s’apprêtant à tourner la suite de The Big Lebowski, le talentueux Noah Hawley reste en charge, sans ressentir le poids de l’original, comme il l’a affirmé au site slashfilm.com : “Tout le monde sans exception pensait que l’idée de cette série était très mauvaise. Alors, je me suis senti plutôt libéré : c’était à ce point une mauvaise idée qu’il suffisait de ne pas être nul.”
Nulle, Fargo ne l’est certainement pas. Parmi les séries actuelles, elle est peut-être celle qui maîtrise le mieux sa trajectoire. Après 2006 dans la première saison, nous voyageons maintenant vers 1979, entre le Minnesota et le Nord Dakota. Un couple de trentenaires (Kirsten Dunst et Jesse Plemons, ex-Friday Night Lights) se retrouve malgré lui concerné par les suites d’un massacre sanglant à Sioux Falls. Deux organisations criminelles rivales s’en mêlent.
Fargo intègre un élément de prequel
Les flics, pendant ce temps, tentent de recoller péniblement les morceaux. Parmi eux se trouve l’un des personnages de la saison inaugurale. On connaissait Lou Solverson en patron de coffee-shop taiseux, père d’une policière ultradouée, le revoici avec presque trente ans de moins, jeune flic ambitieux et méthodique dont la femme est atteinte d’un cancer.
Avec lui, Fargo intègre un élément de prequel et parvient à moduler les principes de l’anthologie. Elle joue avec l’une des lois typiques des séries – mettre en scène les destins, parfois à l’échelle d’une vie – mais à sa sauce, en inversant tranquillement la chronologie.
La première héritière de Breaking Bad
Le jeu est un principe fort à tous les étages de cette étrange fusée narrative, capable de mélanger les visions naturalistes de l’Amérique des provinces avec une extrême stylisation – en cela, elle est peut-être la première véritable héritière de Breaking Bad.
La série suit des êtres empêtrés dans la routine d’une géographie à la fois mentale et concrète. Le titre “Fargo”, en ce sens, représente d’abord une idée, un rapport aux lieux, aux autres et au monde. Chez les héros de ce drame collectif, l’utilisation du langage reste parfois laconique (la fameuse expression “OK, then…”). Tous semblent voués aux mêmes gestes répétés à l’infini et aux couleurs de tapisserie identiques.
L’ironie règne, savamment distillée – visages hagards, postures ridicules. Mais elle ne doit pas être confondue avec du mépris. Ces femmes et hommes ont beau ne pas résoudre leurs difficultés avec aplomb, ce ne sont pas forcément des idiots. Plutôt des gens simples confrontés au mal en eux ou chez les autres, ce qui les place devant d’impossibles problèmes de timing et de communication.
Une tragédie qui est aussi celle d’un pays
Certains évoluent trop en avance sur l’action (ceux qui ont des secrets à garder), d’autres systématiquement en retard (ceux qui cherchent à percer ces secrets). Parfois, les positions s’inversent. De ce problème de synchronisation avec la réalité naît la tragédie, qui est aussi celle d’un pays.
Cette saison débute d’ailleurs par une (fausse) scène de film avec Ronald Reagan, ancien acteur élu président en 1980. Un choix tout sauf anodin, comme l’a expliqué Noah Hawley à Vulture : “Je ne voulais surtout pas que l’année 1979 se résume à un simple décor. Cette année-là, l’Amérique atteint l’un des points les plus bas de son histoire moderne. Après le Vietnam et le Watergate, elle connaît une grave récession, la crise gazière et bientôt l’Afghanistan. Pour beaucoup, le monde s’écroule. Un an plus tard, Reagan va être élu, boutant le pays hors des 70’s radicales, avec le retour aux valeurs familiales et à la morale des années 1950. Nous jouons avec cela dans cette saison. Presque à la manière d’En attendant Godot, c’est ‘En attendant Reagan’…”
Dialogue avec l’esprit du cinéma
La lenteur. Le silence. L’absurde. La référence à Beckett n’est pas infondée. Mais si Fargo passionne autant – malgré des faiblesses dans les trois nouveaux épisodes vus, notamment les figures de méchants, moins fascinantes –, c’est parce qu’elle offre une vue imprenable sur la question des rapports entre séries et cinéma. Celle-ci fait bien sûr partie de l’ADN de la série. Non seulement Hawley ne l’évite pas, mais il la creuse pour arriver plus loin que beaucoup d’autres.
Car ce n’est pas grâce à ses effets “cinématiques” ou à sa majesté visuelle – qui relèvent de la direction artistique – que Fargo fricote avec le cinéma. Pour elle, le cinéma n’est pas une simple boîte à outils référentielle mais plutôt un esprit, au sens fantomal du terme, un imaginaire à observer, ressasser, étirer, déplier sans cesse devant soi. Le dialogue est à la fois plus direct et plus souterrain.
Fargo la série n’est pas un succédané de Fargo le film, ni une tentative à la manière de… C’est une maison construite à côté d’une autre, qui lui emprunte ici sa façade, là ses mystérieux intérieurs, avant d’affirmer sa singularité. A ce compte-là, elle peut bien durer cent ans.
Fargo saison 2 sur Netflix
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